Ça fait près de 2 ans que ça dure. Ma fille, qui a 5 ans et des poussières, ne porte que des robes. Que. Des. Robes. Au début, il fallait absolument que ce soient des robes qui tournent (« Mais mamaaaan, celle-là elle tourne paaaaaas »). Ensuite, il y a eu les robes à manches courtes, les robes sans col, les robes rose bonbon et les robes à pois. Maintenant ce sont les robes à manches longues, portées préférablement avec un t-shirt à manches longues en dessous (who knows why), et des bas-collants (surtout pas des leggings et des bas). Des robes. Des robes, des robes, des robes, des robes.
Au début, nous avons eu envie d’offrir un peu de résistance à son insistance. « Tu mets ce qu’il y a dans ton tiroir, voilà tout » (il n’y avait évidemment pas assez de robes pour passer la semaine). Puis, peu à peu, parents mous en service, nous n’avons sélectionné que les robes dans les boîtes de vêtements qu’on nous offrait. Nous avons ajouté « robe » sur la liste d’idées de cadeaux pour Noël. Nous avons même fait des achats, pour nous assurer d’avoir au moins deux robes qui tournent dans son tiroir. Pour la voir éclater de rire après s’être étourdie à les faire tourner. Pour voir ses yeux briller le matin au moment de s’habiller. Pour éviter des crises, aussi.
Je dis « parents mous », mais en fait, c’est plutôt qu’après réflexion, nous ne voyions pas pourquoi nous empêcherions notre fille de s’habiller comme elle veut. Au départ, la maman féministe en moi craignait « le symbole » de la robe, le fait que ce bout de tissu a longtemps été utilisé pour restreindre la liberté des femmes, pour les limiter dans leurs mouvements, pour encadrer leurs choix, leurs activités. Je ne voulais pas que ma fille assimile l’injonction à être « féminine » et coquette, je ne voulais pas qu’elle pense non plus qu’il n’y a qu’une seule manière d’être une fille. Je voulais encore moins qu’elle intègre la hiérarchie implicite et l’injonction à s’y soumettre qui accompagne les stéréotypes de genres.
Mais tout ça, c’était oublier qu’une robe, c’est tellement plus qu’un symbole d’aliénation. Mesdames, ça fait combien de temps que vous avez porté une robe qui tourne? Parce que vous verrez, dès que vous l’enfilerez, vous vous souviendrez qu’une robe, c’est un jeu, c’est une danse, c’est une fête! Je plains les garçons et les hommes de ne pas en porter plus souvent! Une robe, comme n’importe quel autre vêtement, ça peut être une manière de s’exprimer, une manière de se présenter aux autres (« Allô, me voici! Regarde cette robe qui pétille comme mes yeux »), une manière de célébrer qui on est. Porter une robe, c’est aussi féministe, quand c’est une appropriation, une fierté, une exploration et une affirmation de qui on est.
Pourquoi aurais-je voulu imposer mes goûts pour les vêtements neutres et non-genrés à ma fille? Pour affirmer mon autorité? Pour exercer un pouvoir sur elle? Quelle différence y aurait-il eu entre l’obliger à porter des pantalons, et l’obligation de porter des robes qu’on imposait autrefois aux petites filles? Être féministe, c’est laisser les filles et les femmes porter ce qu’elles veulent, c’est les laisser faire leurs propres choix, c’est leur faire confiance : elles savent qui elles sont et ce qui est bon pour elles.
Je me permets de conclure en faisant un parallèle éditorial avec un débat qui anime l’actualité québécoise. Imposer aux individus une laïcité à l’emporte-pièce qui exclue notamment les femmes musulmanes qui portent le voile des postes-clés de l’État (de l’éducation, de la justice et de l’ordre, de la politique), c’est une manière, pour la majorité blanche québécoise « de souche » d’affirmer son pouvoir sur les personnes qu’elle souhaite « minoriser », marginaliser, exclure de « sa » société. Je trouve tellement ironique (et choquant) que cela se fasse sous le couvert d’arguments prétendument féministes (dénonçant le voile comme symbole d’aliénation, ce qu’il peut être aussi, tout comme les robes d’ailleurs). Imposer aux femmes une manière de s’habiller, et les envoyer « au coin » si elles n’obtempèrent pas, n’est-ce pas là le même geste que d’imposer aux femmes de porter le voile? Je répète la question, mais quelle différence y a-t-il entre obliger à porter un voile et obliger à ne pas en porter?
Je disais : être féministe, c’est laisser les filles et les femmes porter ce qu’elles veulent, c’est les laisser faire leurs propres choix, c’est leur faire confiance. C’est accepter que les femmes soient libres, c’est exercer cette liberté. Et c’est aussi aller à la rencontre des femmes, toutes les femmes, les écouter nous raconter qui elles sont, et accepter qu’elles soient différentes de nous. Pour la rencontre et la diversité, contre toute interdiction de port de signes religieux par les employé.e.s de l’État : féministe tant qu’il le faudra!