Je ne sais pas trop à qui s’adresse ce texte: à la « moi du passé »? À vous, « chères futures mamans »? Ou à n’importe qui se questionnant par hasard sur les réalités d’un premier bébé? On verra comment vont les mots… mais voilà, j’avais envie d’explorer les premiers mois de ma vie de maman qui viennent de s’écouler. J’arrive enfin à le mettre par écrit.
Je n’ai jamais eu l’instinct maternel. Jamais je n’ai été à l’aise avec un bébé. Souvent, j’ai pris un nouveau-né dans mes bras par amour pour ses parents et avec moult malaises et incertitudes. Lorsque j’ai eu un chiot, j’étais sûre que j’avais atteint le maximum de mes capacités à aimer une petite patente sans défense qui a besoin de moi.
Puis, les années passant, mon chum et moi avons décidé que l’aventure en valait sûrement la chandelle, et nous avons uni nos, euh, forces (haha) et bref, en quelques mois — pure luck — j’étais enceinte! Je ne m’étendrai pas ici sur la grossesse en question, notons seulement au passage qu’elle a été traversée de nombreux moments de « MON DOUX QU’AVONS-NOUS FAIT?! ». Surtout moi, en toute honnêteté : je réalise que mon chum était plus prêt que moi, mentalement.
Passons également sur l’accouchement pas du tout comme nous l’avions soigneusement planifié, même si j’avoueeeeeeeee être parfois tentée de le coucher par écrit lui aussi afin d’en conserver le souvenir.
Je m’attendais à TOUT et SON CONTRAIRE, côté nouvelle vie de maman. Être brûlée, comblée, heureuse, en amour, pas en amour, pleine d’instinct, gauche, naturelle, zéro bonne, patiente, impatiente, alouette. Et, ma foi, c’était un peu ça. Du terriblement doux et du terriblement difficile.
Les premières heures, celles qui suivent immédiatement la naissance jusqu’au retour à la maison, elles sont brumeuses. Peu de sommeil, beaucoup de réveils, pas de visites (bébé est née en mars 2020: pile-poil le lancement de la vie COVID-19 au Québec). Beaucoup d’émerveillement face à la petite créature fabuleuse que nous avons créée et un grand soulagement: je l’aime déjà! Et plus que je m’attendais (rappelons que je ne pensais pas aimer mon bébé autant que j’avais aimé mon puppy, quelle nouille. Et on m’avait bien préparée à la réalité de l’amour qui apparaît avec un certain délai, donc déjà, c’était ça de pris). C’est un cocon chaud et sécuritaire où nous sommes nourris et pris en charge : chaque mini question, chaque doute, magie, une personne chaleureuse vient nous aider et nous rassurer.
Retour à la maison brutal. JE SUIS TERRIFIÉE. Nous étions deux à notre départ, trois au retour. C’est merveilleux et épouvantable. Nous ne serons plus jamais deux, la route me semble terriblement longue et je suis si faible. À quel point avons-nous été inconscients de créer cet humain dont il faut maintenant assurer la survie?! Quelle idée!!!! Je n’y arriverai jamais. La fatigue et la douleur sont intenses. Envahissantes. Je suis régulièrement en larmes, mais pétrifiée d’amour pour la petite chose vigoureuse et magnifique qui est dans nos bras.
Nous avons une visite de suivi au 3e jour et juste avant la fin de la visite, je fonds en larmes incontrôlables. Je veux que cette personne revienne tous les jours. Toutes les semaines. Je fais de mon mieux, mais visiblement, je m’étais trompée: je ne serai pas capable de mener à bien cette mission critique de faire pousser un humain fonctionnel. Ne le voit-elle pas? Mais comme je sais rire de ma détresse, elle me rassure et repart.
Ces premières semaines sont elles aussi un peu floues. C’est le confinement, je ne peux voir personne. Mes parents n’ont pas rencontré leur première petite-fille. Personne ne nous apporte de bons mets maison. Personne ne me prête ses bras pour la prendre pendant que je vais faire dodo. De toute façon, je ne veux PAS faire de siestes: je veux ravoir ma vie! Quand bébé dort, je ne veux pas dormir, je veux juste exister… mais je suis brûlée, trop brûlée pour vraiment en profiter. J’en parle — virtuellement — à quelques amies mamans : « c’est dur, c’est tellement dur, je ne me reconnais pas, je pleure tellement, mes émotions sont OVER THE ROOF». On me rassure beaucoup, ce sont les hormones, ça va passer, les premiers jours/premières semaines sont difficiles. Je ressens beaucoup d’empathie de leur part, mais j’ai envie de hurler : « NON. C’EST PAS JUSTE TOUGH. C’EST HORRIBLE. JE N’Y ARRIVERAI JAMAIS, GUYS, VOUS NE COMPRENEZ PAS ». Je suis une zombie lucide : ça ne peut pas durer comme ça.
Quelque part dans ces premières semaines, je pleure, je sanglote violemment dans les bras de mon chum : je ne veux JAMAIS revivre ça. Je n’y arriverai JAMAIS. C’est HORRIBLE.
Les journées se succèdent, un peu toutes pareilles.
J’allaite, bébé dort, j’allaite, on se colle, je pète une coche à mon chum, je pleure, j’allaite, je pleure, je m’excuse, j’allaite, bébé fait de la bedaine, mon chum écoute la télé, je n’ai aucun souvenir de la façon dont j’occupe mon temps d’éveil sans bébé, je vais me coucher, on mange de temps en temps, aucune idée quoi, bébé dort. Elle dort beaucoup, parfois dans mes bras, mais souvent toute seule. Je suis soulagée, mais pétrie de culpabilité: devrais-je l’avoir dans les bras tout le temps? Devrait-elle dormir dans notre lit? Suis-je suffisamment présente pour elle? Mes idées sont parfois confuses, je suis certaine de faire de mon mieux, mais… ce mieux, est-ce suffisant? Cette nouvelle culpabilité me suit de près.
Qu’est-ce qui nous a pris? Elle est extraordinaire, la prunelle de mes yeux, chacun de ses mouvements est divin, mais son existence est une source intarissable de montagnes russes. Et si elle meurt dans son sommeil? Oh, je récupérerais ma vie! Mais si elle meurt dans son sommeil? Oh, je n’y survivrais pas!
Je l’aime tellement, mais c’était la pire idée du monde: je n’y arriverai jamais. Pas que je suis négligente, pas du tout. Pas que je suis dangereuse, pas du tout. C’est juste impossible que j’arrive à garder ce bébé en vie. Pour aucune raison. Bien des gens moins équipés et entourés que moi ont réussi, mais… c’est trop long, trop lourd. Impossible.
À travers ça, percées de soleil: premiers regards, premiers sourires, premiers rayons du printemps. Je sais qu’il y a de l’espoir. Je sais que tout passe. Mais lorsqu’on se noie, on ne peut pas juste « focusser sur le positif » et « faire confiance à la vie ».
Lorsque je ne suis pas dans ces lourdes pensées, je suis en furie contre mon chum. Une amie m’avait confié ceci, me faisant un bien fou, que je vous confie à mon tour: tous les jours (et à chaque bébé dans son cas), je vis des moments où je suis incroyablement en amour, fière et passionnée de lui et tous les jours, je veux lui arracher les yeux et rien de ce qu’il fait ne me suffit. J’essaie de mon mieux de rester douce et calme, mais je suis suprêmement irritable et ce n’est pas sur bébé que je déverse le trop-plein #devinezquiécope
Ce récit peut sembler d’une lourdeur infinie, mais au jour le jour, entre les crises de larmes et de colère, chaque jour offre des percées de soleil, ça va de mieux en mieux et mon moral s’améliore. Bon, à coup de 1% à la fois, ça semble minime, mais je m’observe minutieusement et je sens chaque jour le plancher sous mes pieds reprendre un peu de consistance. La vie semble se stabiliser un peu. Je pense que le baby blues est derrière moi. Je ne pense pas être en dépression post-partum.