Ma fille est à l’âge où l’amitié s’implante comme un phare guidant un navire sur la mer. Les amis, c’est sacré. Recevoir le titre de BFF de la part d’une autre fille à l’école, c’est un immense honneur : on a plusieurs amis, mais une seule BFF.
Et ma fille en avait une, une meilleure amie pour la vie. Elles étaient inséparables depuis plusieurs années. Elles se voyaient en classe et à la récréation, se visitaient les fins de semaine. Vous remarquerez ici ma conjugaison à l’imparfait, dû au fait que leur amitié a éclaté il y a peu de temps.
Ça existe des peines d’amitié, et ça fait presque aussi mal qu’une peine d’amour. Je le sais, car j’en ai vécu une, adolescente. Ça fait mal parce qu’on a ouvert son cœur, on a fait confiance et au final on se sent trahi. Ce que je ne savais pas encore, c’est qu’une peine de cœur, c’est dur pour la maman aussi.
Il y a quelques semaines, ma fille est revenue de l’école triste et découragée. Elle s’était chicanée avec son amie. Sur le coup, je n’ai pas trop accordé d’importance à la chose du fait que les accrochages à cet âge sont monnaie courante. Combien de fois l’ai-je entendu dire qu’elles n’étaient plus amies, pour demander le lendemain si elles pouvaient se voir durant la fin de semaine? Par contre, au bout de deux ou trois jours, j’ai compris que ce conflit était d’une tout autre nature.
D’ordinaire, ma fille est d’un tempérament enjoué et volubile. Mais là, elle se refermait comme une huître. Elle errait dans la maison avec sa face longue des jours tristes. Et quand je réussissais à la faire parler, elle n’en avait que pour la chicane et le comportement de son amie. Le mot qui revenait le plus souvent était « pourquoi ». Quand mon enfant m’a posé cette question en pleurant, il y a quelque chose dans mon cœur de mère qui s’est déchiré.
J’ai compris à cet instant que ma protection maternelle avait une limite. Je l’ai mise au monde, nourrie, bercée, soignée, consolée. Je me suis parfois souvent oubliée pour elle. Mais, je ne peux pas la protéger contre ce genre de chagrin. Je ne peux pas vivre sa peine et régler sa chicane.
Au fil des jours, j’étais parfois triste, parfois en colère, et, je l’avoue, quelque peu exaspérée de revenir sur cette histoire quotidiennement. Mais je sentais que ma fille avait besoin d’en parler. Elle est aux portes de l’adolescence. Si elle croit que je ne prends pas sa petite querelle de cours d’école au sérieux, j’ai peur qu’elle n’ose plus se confier à moi lorsque viendront des problèmes pouvant être plus graves, alors je l’ai écoutée. Mais je ne m’en suis pas mêlée, même lorsque j’étais triste ou en colère. Je sentais qu’il était primordial pour son développement qu’elle s’en sorte toute seule. Je lui ai plutôt donné des pistes et des conseils, suivant l’avis d’une personne de mon entourage.
J’ai souvent eu de la difficulté à reconnaître mes torts et à écouter les autres. J’ai bousillé quelques amitiés parce que je ne regardais que mon nombril en me croyant sans faute. J’aurais aimé comprendre plus jeune le rouage des relations humaines. J’ai essayé de me mettre dans les souliers de la petite fille que j’ai été. Et j’ai dit à mon enfant ce que j’aurais voulu qu’on me conseille à l’époque.
En gros, je lui ai suggéré de ne pas forcer le dialogue et de respecter le fait que son amie voulait du temps pour réfléchir. Je lui ai rappelé de parler au « je » et d’éviter les accusations méchantes et irrespectueuses. De ne pas mêler les autres amis à cette chicane. Et surtout, je lui ai demandé d’écouter et de réfléchir. Je lui ai expliqué que dans la vie, il n’y a rien de blanc, rien de noir. Si son amie est en colère, c’est qu’il y a peut-être anguille sous roche. Il y a une leçon à tirer de chaque chose qui arrive et ainsi, elle pourra devenir une meilleure personne.
La situation a duré quelques semaines avant qu’elles ne fassent la paix. Leur amitié est revenue, mais plus froide et plus distante. Je crois que ni l’une ni l’autre n’a envie de renouer les liens qu’elles avaient avant. Maintenant c’est la prochaine leçon que j’enseignerai à ma fille. C’est correct de demander pardon et de pardonner, c’est correct aussi de prendre des chemins différents malgré tout.