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La colère des mères : nous ne sommes pas seules
Crédit: Sharon McCutcheon/Unsplash

J’ai lu pour la première fois Les tranchées de Fanny Britt quand ma fille avait un peu plus d’un an. Je me souviens avoir été très marquée par ce fragment, « Trois mères sur la grève », où Britt et ses copines discutent du fait qu’elles sont « perpétuellement en tabarnak ».
 
« Derrière cette colère matinale, il y avait le besoin que l’autre (le chum, le mari, le père, mais ça aurait pu être la blonde, l’autre mère) […] saisisse la nature intrinsèquement anxieuse du rôle maternel. Qu’il devine que dans ce rôle, on étouffe, on souffre, on triture, on rétrécit. Qu’il se fasse pardonner le crime de n’avoir pas la même douleur devant la parentalité. Qu’il ouvre les vannes de notre peur et de notre peine et de l’infini paradoxe d’aimer la maternité plus que tout, mais de la regretter aussi, parfois » (p. 34). »
 
Wow. C’était tellement ça.
C’est en lisant ces quelques lignes que j’ai découvert ma colère.
 
La colère des mères est pleine de paradoxes. Elle est liée, d’une certaine manière, à la découverte de notre propre vulnérabilité. Comme si on refusait d’abord cette vulnérabilité, et qu’on cherchait à reprendre le contrôle sur une situation qui nous échappe nécessairement (devenir parent, changer de vie, aimer comme jamais). Je lisais un témoignage sur le blogue Faces of postpartum dernièrement, où une mère disait qu’en même temps qu’elle aimait son bébé plus que tout au monde, elle lui en voulait que cet amour la rende si vulnérable. » How dare you come into my life and make me so fragile? », demandait-elle à son bébé. Je trouve cette expression très juste. La colère des mères est peut-être liée au sentiment de perdre une partie de nous-même dans cet amour envahissant qui organise dorénavant notre vie.

Mara, photographiée par Ariane Audet pour le projet Faces of postpartum
Crédit : Faces of postpartum/Facebook

Mais cette colère est aussi liée à une certaine non-reconnaissance, de la part de nos partenaires, de nos proches et de la société en général, de l’ampleur du travail que l’on effectue quotidiennement, et de l’impossibilité absolue de fuir devant cette tâche monumentale. Je me souviens que ma colère est devenue plus prenante, pratiquement permanente, au moment où, peu après la naissance de ma fille, mon chum a eu un gros rush au travail. Il travaillait les soirs, les fins de semaine, il partait souvent pour plusieurs jours. Ça a duré des mois. Et moi, je ne pouvais rien dire. Je devais juste endurer (assumer, assurer).
 
Mais au fait, qu’aurais-je bien pu dire? C’étaient les exigences de la job, j’étais supposée savoir dans quoi je m’embarquais. J’étais épuisée, isolée, malheureuse, et j’enrageais parce que je sentais qu’on m’avait retiré mon pouvoir sur ma propre vie. Quand allait-on reconnaître que s’il pouvait partir comme ça, c’était parce que moi, je restais là, chez moi, et que j’assumais seule le soin de notre enfant? Quand allait-on m’offrir un peu de reconnaissance?

 

Crédit : Finn Hackshaw/Unsplash

Ma colère s’est toujours manifestée comme une immense envie de crier. D’hurler. De faire sortir par ma bouche l’étouffement qui étreignait ma gorge et mon ventre. Crier : une manière de lutter contre mon invisibilité.
 
Je sais maintenant que la colère des mères est une colère féministe. Une colère revendicatrice, énonciatrice, qui veut mettre au jour la douleur, l’effort, la fatigue, l’amour, le don de soi, la beauté, les paradoxes, l’envie de fuir et l’envie de s’abandonner dans cette vie de soin qui est maintenant la nôtre. Nous ne recevons que trop peu de reconnaissance sociale pour notre travail, pour notre charge mentale et émotive, pour notre temps amoureusement donné. Tout ça est pris pour acquis, invisibilisé. Faut-il s’étonner que ce manque de reconnaissance nous enrage?
 

*

 
La semaine dernière, j’ai été prise d’émotion alors que j’écoutais des femmes lire la colère qu’elles avaient mises en mots, lors du lancement du collectif Libérer la colère. Je nous ai vues, toutes rassemblées là, écoutant le cri des autres, prêtes à prendre cette colère et à la transformer en force collective… Nous ne sommes pas seules à être en colère. En nous l’appropriant, en l’énonçant et mettant nos voix en commun, peut-être pourrons-nous mieux savourer toute sa profondeur féministe (colère, justice et sororité).

Êtes-vous en colère?

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