On se le dit souvent, moi et mon chum : un jour, il va falloir songer sérieusement à se débarrasser du moniteur. Il y a déjà longtemps que ça devrait être fait, en réalité. Coco et Bout d’Chou parlent, marchent et utilisent la toilette seuls. Vraiment, il faudrait se débarrasser du moniteur. Mais on ne peut pas.
Parce que Coco et Bout d’Chou ignorent toujours qu’ils peuvent se lever de leur lit. On ne leur a jamais dit. Ils sont passés de la couchette au grand lit sans remarquer la nouvelle liberté qui s’offrait à eux. Et aussi parce que le Groclock remporte chez nous un succès jamais vu. Ainsi, les garçons ne poseront JAMAIS un seul orteil hors de leur lit s’il reste des étoiles sur leur cadran. D’où vient cette règle? Aucune idée. Pas de nous, en tout cas. Mais il pourrait bien y avoir un tremblement de terre, une urgence nucléaire — jamais mes enfants ne sortiront de leur lit sans avoir validé la manoeuvre avec l’autorité parentale.
Alors ils appellent. Maman? J’ai peur. J’ai mal au ventre. J’ai fait un cauchemar. J’ai envie de pipi.
Ils appellent, mais pas fort. Ils crient à longueur de journée, mais une fois dans leur lit, ils murmurent. Parce qu’avec le moniteur qui projette chacun de leurs soupirs à quadruple intensité depuis leur naissance, ils n’ont jamais eu besoin de lever le ton pour qu’on les entende. Et si on ne répond pas, ils appellent encore. Et encore. Inlassablement. Une nuit que le moniteur s’était éteint tout seul, ce sont les pleurs de Bout d’Chou qui m’ont réveillée. Il m’avait appelée tout doucement, plusieurs fois, et je n’étais pas venue. Il s’était mis à pleurer. Mais il ne s’était pas levé.
Le moniteur s’était éteint tout seul parce qu’après quatre ans de loyaux services, il traîne de la patte un peu. On lui a fait la vie dure, il faut dire. Il a été échappé plus souvent qu’à son tour : de la table de chevet, de l’îlot de cuisine, même du premier étage jusqu’au rez-de-chaussée. Il a fait trempette dans le lavabo puis a été rescapé par une nuit dans un plat de riz. Alors aujourd’hui, le moniteur s’éteint souvent tout seul. Le bouton power ne répond plus très bien. L’écran est craqué. La pile tient sa charge de moins en moins longtemps. Il tough encore — d’ailleurs, si vous magasinez un moniteur, je vous recommande Motorola — mais quand même, un jour plus si lointain, il va rendre l’âme pour de bon. Et là, franchement, pas question d’en acheter un autre pour des enfants qui ont depuis longtemps passé l’âge de la vigie nocturne. Fait que vraiment, il faudrait se débarrasser du moniteur.
C’est juste qu’on dirait que, comme parents, on se répugne un peu à dire aux enfants de se lever. Leur dire de sortir de leur chambre, après toutes les heures consacrées, dans les six dernières années, à les convaincre de se coucher et de dormir… On dirait que c’est contre nature. L’idée va bien finir par leur venir toute seule, me semble. Pis le moniteur, il marche encore après tout.
Mais vraiment, un jour, il va falloir songer sérieusement à se débarrasser du moniteur.