Il y a tout près de quarante ans, les femmes et leurs allié.e.s commençaient à militer pour l’humanisation des naissances au Québec. Le mouvement ainsi créé militait et milite toujours pour le respect du processus physiologique, pour le droit d’accoucher avec le.la professionnel.le de son choix, pour une accessibilité hors centre hospitalier et contre les pratiques médicales abusives qui vont souvent à l’encontre de l’autonomie et des droits des personnes qui accouchent. Comment se fait-il que, 40 ans plus tard, il reste autant de travail à abattre pour le respect de l’autonomie en situation d’accouchement?
Peut-être faut-il se rappeler que le projet à l’origine de la gynécologie « était de corriger la femme » (St-Amant, 2014) puisque les corps des femmes étaient alors perçus comme défaillants par rapport à la norme masculine et imprévisibles. Il fallait donc les contrôler et les dompter grâce aux mains pleines de raison du corps médical masculin. Cette conception patriarcale sert encore de toile de fond à la pratique médicale d’aujourd’hui. Les voix des femmes et des personnes qui accouchent ne cessent de dénoncer cette emprise sur leur corps depuis des décennies. Là où il devrait y avoir autonomie, il y a infantilisation. Là où il devrait avoir des choix libres et éclairés, il y a souvent une information biaisée, de la coercition et des menaces. Là où il devrait y avoir un esprit de respect des droits universels et des besoins des communautés, il y a centralisation. Et là où l’accouchement devrait prendre son temps et être reconnu comme une expérience unique, il y a une gestion active obsédée avec l’efficacité et la productivité.
Bon nombre de personnes qui accouchent s’entourent alors d’accompagnant.e.s, de lectures, paient pour des cours qui les renseigneront sur leurs droits, sur les protocoles. Ainsi renseignées, il est plus facile de faire respecter leur autonomie. C’est vrai. Cependant, tous ces moyens reposent sur une initiative individuelle faisant appel à des moyens individuels que toutes ne possèdent pas. Est-ce qu’une réponse individuelle peut venir à bout de violences systémiques et de systèmes d’oppression multiples tels que le sexisme, le racisme, la transphobie, le colonialisme, le capacitisme et le classisme? Et si la réponse était de retourner la grossesse et l’accouchement dans les communautés et dans les mains des personnes premièrement concernées? Comment se fait-il qu’en 2018, certaines personnes au Québec n’aient d’autre choix que d’aller accoucher à 300 km de chez elles, coupées de leur communauté, de leur famille, de tout filet social? Au Québec, on se targue d’être riche, d’avoir des programmes sociaux en tout genre, mais notre système de santé échoue à répondre aux droits fondamentaux des personnes qui accouchent.
Pourtant, bon nombre de médecins et de sages-femmes ont à cœur le respect des personnes pour lesquelles ils et elles assurent un suivi de santé périnatale. On les entend dire que si ça avait été possible, on aurait fait telle ou telle chose autrement. On remarque ainsi que même les professionnel.le.s de la santé ne jouissent pas d’une véritable autonomie de pratique qui leur permettrait de respecter l’autonomie des personnes qui accouchent plutôt que des protocoles rigides et déconnectés. La centralisation croissante dans le système de santé, des ressources humaines insuffisantes et à bout de souffle et une pression capitaliste et médico-légale mènent à une logique fordiste de chaîne de montage où le corps devient machine et l’accouchement devient standardisé et « géré ». Où est la vision holistique de l’accouchement et sa reconnaissance comme expérience humaine complexe qui nécessite bienveillance, temps et attention, bien plus qu’interventions?
En cette Semaine mondiale pour l’accouchement respecté (SMAR 2018), il faut se questionner à savoir pourquoi 40 ans de revendications n’ont pas su apporter l’autonomie et le respect des droits fondamentaux des personnes qui accouchent. Profitons de cette semaine pour avoir une conversation à la grandeur du Québec, parce qu’une reprise d’autonomie vient nécessairement avec une prise de parole. Que nos voix prennent de l’ampleur tout au long de l’année et des années à venir pour que l’accouchement nous appartienne pour vrai!
Sophie Mederi, chargée de projet pour le Regroupement Naissance-Renaissance.
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