Je n’ai jamais été la fille la plus coquette du monde. Mais depuis longtemps, j’aime comment une simple manucure me fait sentir plus féminine, plus « propre ». Longtemps, à tous les dimanches soirs, je retirais mon vernis à ongles et je m’en remettais du nouveau. Une sorte de rituel qui a pris le bord un peu (beaucoup) en ayant des enfants.
Je me suis sentie particulièrement moche pendant ma deuxième grossesse. La prise de poids était moins magique, les petits maux de grossesse moins aigres-doux. Disons que quand tu as déjà fait le tour de la patente une fois, tu as moins le goût de savourer chaque maux de cœur. Comme la fête de mon plus vieux s’en venait, j’avais le goût de me sentir moins patate. Alors je suis allée me faire faire une belle manucure shellac aux couleurs d’été.
C’est exactement 5 jours après avoir regardé mon fils souffler ses bougies entouré de ses copains, que mon univers a complètement basculé. Je me souviens de ce matin-là, en route vers le travail, j’avais fait le décompte dans le train des semaines qu’il me restait à travailler. Je me sentais particulièrement fatiguée et stressée et je trouvais donc que le temps ne passait pas assez vite avant mon congé. Je venais à peine de passer le stade du troisième trimestre, et l’idée de me rendre au boulot pour encore 2 autres mois me décourageait. J’étais loin de me douter que 12h plus tard, je serais en train de signer une décharge pour une césarienne d’urgence.
Comme tout s’est passé trop vite, j’ai dû accoucher à un hôpital n’ayant pas de service de néonatalogie et mon fils a dû être transféré à l’hôpital Ste-Justine à quelques heures de vie seulement. Cette nuit passée dans une chambre semi-privée (comme dans « avec un autre couple et leur bébé ») restera probablement la plus longue de ma vie. Aux premières heures, j’ai supplié mon médecin de me donner mon congé et de me laisser aller rejoindre mon poupon qui luttait pour survivre.
La première chose que j’ai remarquée en arrivant à l’étage de néonatalogie, ce sont les immenses lavabos avant de traverser les portes. Tous les parents doivent se désinfecter les bras jusqu’au coude et retirer tous leurs bijoux avant de pouvoir traverser. Et au-dessus de ces gros lavabos se trouvait des affiches disant: VERNIS À ONGLE INTERDIT. Je regardais mes ongles roses, incrédule. J’avais l’impression qu’une vie complète s’était passée depuis que je les avais fait peindre. Comme j’étais une nouvelle maman, on m’autorisa de porter des gants pour le premier 24h.
Ce soir là, quand je suis retournée à la maison avec mon conjoint, le ventre vide et sans mon bébé, malgré mes agrafes de césarienne menaçant de céder sous l’infection, ma seule et unique mission était d’enlever ce foutu vernis à ongles. C’est à grand coup de tonne d’acétone et en grattant avec un couteau à beurre que j’y suis arrivée.
Mon fils a été hospitalisé pendant 76 jours. J’ai dû me laver les mains au moins 1000 fois à ces lavabos devant les affiches. Chaque fois qu’une nouvelle maman aux jolis ongles colorés arrivait à l’unité, je ressentais une immense empathie face à cette marque si visible du décalage entre la vie d’avant et la nouvelle réalité d’avoir un enfant hospitalisé.
En décembre, nous avons pu retourner à la maison. Mais le profond impact que cette aventure a laissé sur moi est difficile à décrire. Un mélange de culpabilité, de tristesse, de peur, d’angoisse, mais aussi de joie, de gratitude, d’empathie et d’amour pour ce petit être humain.
L’hiver a été difficile, comme un épais brouillard, comme des portes tournantes menant nulle part. Puis, l’été s’est pointé le nez et soudainement, la brume s’est dissipée. Durant l’une de ces belles journées de juillet – où le soleil est chaud, mais qu’il ne fait pas humide et qu’une petite brise éloigne les moustiques – je me promenais avec ma petite famille et mon coeur était plus léger. Comme lorsqu’on te retire le tablier chez le dentiste après les radiographies.
Et ce soir là, après avoir couché les enfants, j’ai sorti une bouteille de vernis et je me suis fait les ongles. Tellement banal, mais pour moi, c’était une réconciliation. La fin d’un chapitre et la fin d’un interdit. Je me donnais le droit, presque un an plus tard, de redonner de la couleur à mes doigts et de remettre de la couleur dans ma vie.