J’ai grandi dans les années 80. L’été, ma mère nous donnait un sandwich de pain blanc au fromage orange dans un sac Ziploc et nous souhaitait « Bonne journée! » On jouait, du matin au soir, avec si peu de supervision. On s’entend, à l’époque, les ceintures de sécurité n’étaient pas obligatoires et on fumait dans les avions. Mais quand même, il y avait aussi ce lâcher-prise sur l’univers des enfants, une sorte de nonchalance bienveillante.
Quand ma soeur et moi allions dans la forêt, il y avait une consigne. Ma mère nous demandait d’emmener avec nous une grosse cloche d’école et de la faire tinter très fort s’il nous arrivait quelque chose. Ça la rassurait. On a traîné cette cloche dans le fond de notre sac à dos lors de toutes nos expéditions, sans jamais l’utiliser. J’y repense avec tendresse aujourd’hui. Il y avait quelque chose de tellement lumineux dans la confiance que ma mère avait en notre jugement d’enfant. Une liberté d’action basée sur la reconnaissance de notre autonomie et de nos capacités.
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J’élève mes propres enfants une trentaine d’années plus tard dans un tout autre contexte. Le parc et la ruelle ont remplacé la forêt. On évolue dans l’ère de l’intensive care et des parents hélicoptères. De l’anxiété aussi. À cause de ma propre expérience, j’ai toutefois tendance à vouloir laisser plus d’autonomie à mes enfants et à ne pas me laisser guider par la peur.
J’ai beau taire mes instincts, mon petit (gros) côté old school ressort en moins de deux. J’ai beaucoup de difficulté à (trop) surveiller mes enfants quand ils s’amusent. J’ai en moi l’empreinte indélébile de ce sentiment de liberté qui venait avec le fait de jouer sans le regard inquisiteur de mes parents. Et toute la confiance que ces moments d’autonomie ont semée. Mon fils est pareil. Je l’entends se raconter mille et une histoires à l’abri de moi. Si je commente ou interviens, il arrête, réclame la paix et la souveraineté de son univers. « Maman, tu me déranges! Je joue! »
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Alors je lui accorde cette paix. Je le laisse prendre de la distance sur sa trottinette et m’attendre au coin de la rue. Je le laisse se rendre « tout seul comme un grand » chez la voisine à cinq maisons de chez moi. Je l’encourage quand il veut sauter en bas du module de jeu, grimper la glissade à l’envers, se tenir en équilibre sur une clôture. C’est si beau de le voir se déployer dans son imaginaire, dans son enfance sans frontières.
Et je récidive avec la toute petite. Elle grimpe et glisse seule, s’approche du vide. Je l’observe, de loin. Je la relève et la console quand elle tombe. Je m’aperçois qu’elle est encore plus téméraire que son grand frère. Elle mange du sable, salit ses vêtements, je ne trouve rien à redire, ou si peu. Elle se retourne et nous fait « Aurevoir » de sa petite main. Elle remonte la rue. Je la regarde. Je n’interviens pas tout de suite. Je la laisse partir, respirer cette sensation de liberté et en être grisée. Elle marche, vers l’horizon. Par moments, je me dis que rien ne pourra l’arrêter.
Évidemment, dans tous les cas, je sais faire la part des choses. Je ne laisserais jamais mes enfants seuls ou se mettre dans des situations où ils pourraient être en danger. Je me contente simplement de leur donner un peu de lousse, d’observer juste assez près, juste assez loin.