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Ma mère et la violence
Crédit: Melanie Wasser/Unsplash

Ma mère a grandi dans une grande famille où elle a subi à répétition les comportements abusifs de son père. Personne ne s’est interposé. Ni ses frères et soeurs, ni sa mère. En secondaire 3, elle a été forcée d’arrêter sa scolarité très jeune pour prendre soin de son petit frère à la maison. 

Puis, de nombreuses années plus tard, elle s’est fabriqué son propre destin. Avec mon père, elle nous a mis au monde, mes frères et moi. Je crois qu’alors, nous avons été heureux pendant 15 ans. Sauf qu’un jour, la famille que ma mère s’était elle-même construite était sur le point d’exploser, à son tour.

Parce que malgré ses efforts et tout l’amour qu’elle était capable de nous donner, ma mère était une femme brisée. Je me rappelle d’un soir très triste, pendant le temps des fêtes, dans Lanaudière. Je consolais ma mère en larmes jusqu’à minuit. Elle avait trop bu, comme cela arrivait souvent. Elle ne parlait pas, en fixant le vide. Je lui ai demandé, du haut de mon enfance, ce que je pouvais faire pour l’aider. Elle a dit que je ne pouvais rien faire. Cette réponse horrible m’a marqué.

En empilant des souvenirs comme celui-là, des pires et des moins pires, je savais bien que tout ce qui avait été balayé sous le tapis, au cours de nos vies, devait ressurgir un jour.  L’amour n’existait plus entre nos parents, qui se sont alors séparés. Mon frère et moi, nous devenions de jeunes adultes autonomes. Notre mère, qui traînait son problème de consommation d’alcool, allait devenir le monstre de notre histoire en partant vivre en Belgique. Nous avons coupé les ponts. La douleur était inimaginable. C’était un deuil de mort-vivant. Je lui ai tourné le dos en mettant sur ses épaules tous les torts du monde. 

L’espoir de ma mère

J’ai gardé ce souvenir d’impuissance face au mal qui avait rongé ma mère. J’ai aussi conservé ses espoirs d’élever des hommes meilleurs. Je crois maintenant que pour donner un sens à ma vie, j’ai besoin de sentir en moi la part lumineuse de ma mère, celle qui m’a bâti, qui m’a porté haut, dans un monde souvent hostile. Je suis devenu incapable de participer à cette haine qu’elle a longtemps subie: j’ai voulu tout à coup incarner la force de ses tentatives et honorer le bon souvenir que j’entretiens de nos meilleures années. Faire vivre la mémoire de ma mère forte.

J’ai pensé à mes propres enfants et à la douleur que je ressens lorsque je suis séparé d’eux.

Petit à petit, après plus de 10 ans sans aucun contact, ma mère et moi, on a commencé à s’écrire par Messenger. Je lui ai dit, entre autres, que je lui pardonnais. Je me suis excusé pour la méchanceté dont j’avais fait preuve à son égard. Même si j’étais jeune lorsque nous nous sommes éloignés, j’avais fait preuve d’une violence intense pour la repousser. Des insultes et des menaces qui ne me ressemblent pas.

Je sais que le mot « pardon » est difficile pour beaucoup de monde. Pour être clair, je n’excuse pas tous les mauvais choix qu’elle a faits, et je n’oublie rien de notre jeunesse parfois douloureuse. Mais comme l’a dit Valarie Kaur, une activiste, documentariste et avocate américaine, dans un TED Talk : « Le pardon n’est pas l’oubli. Le pardon, c’est la liberté face à la haine ». Ça m’aura pris des années pour soigner ma propre douleur, mais je suis arrivé à ressentir beaucoup d’empathie pour ma maman. Faute d’avoir pu faire disparaître son cauchemar, j’ai fait ce qui était en mon pouvoir : je l’ai libérée de ma haine.

Notre histoire est magnifique et catastrophique. J’ai senti qu’elle trouverait un nouveau souffle dans ces efforts répétés de réparation. La mère aimante que j’ai eue, qui me lisait des contes et poussait de toutes ses forces pour nous faire glisser plus vite sur les buttes enneigées, elle vit en moi. Comme nos parties de Mariokart, nos poudings au chocolat et nos feux de camp, ceux-là qui nous accompagnaient sous les étoiles de de la forêt de Chertsey.

L’héritage qu’elle nous a légué existe bel et bien, et c’est celui-là qui m’a poussé à dire, un jour comme les autres, que la tradition de haine et de violence de ma famille s’arrêtait avec moi. Comme elle le souhaitait, je pense.

Merci Maman. 

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