Leur histoire a commencé de façon un peu abrupte. Déjà enceinte, j’étais ambivalente. Ma relation avec mon aîné était tellement fusionnelle. Je me demandais vraiment comment nous allions faire, lui et moi, pour faire de la place. Comment j’allais pouvoir séparer mon coeur en deux. Au fil des mois, mon ventre qui s’arrondissait nous éloignait, tranquillement. On se collait le soir pour lire les aventures du petit loup qui devenait grand frère et qui accourait à la maternité en riant.
Le poupon rose et souriant promis par les livres ne s’est pas présenté. À sa place, une toute petite fée, chétive dans son château de verre, qui gardait maman loin de la maison. C’est un garçon défiguré par l’angoisse qui s’est finalement présenté à l’unité de néonatalité pour rencontrer sa petite sœur. Conscient de la gravité de la situation, il s’est rapidement transformé en tigre. Il jetait des sorts à toutes les infirmières qui entraient dans la salle et n’hésitait pas à se jeter dans la mêlée quand on faisait pleurer « son » bébé.
Enfin de retour à la maison, il considérait ce petit être avec une certaine indifférence. Ce bébé ne pouvait ni jouer, ni parler. Elle ne faisait que dormir, boire au sein et prendre « sa » place, celle près du coeur.
Le temps passe et les enfants grandissent. Les premiers sourires apparaissent. Et le grand, qui garde son instinct de tigre, défend à tout étranger de s’approcher de la petite, s’interposant de tout son corps, au besoin. À la maison, il continue de la considérer de loin. Lorsqu’il s’approche, les « doux avec ta soeur », « attention, c’est un bébé », l’empêchent de déployer la créativité avec laquelle il aborde chacune de ses relations.
Puis, un matin, le miracle! Alors que je gronde mon fils et l’envoie réfléchir dans sa chambre, il crie. « Bébé! Bébé! Aide-moi! » Et la petite de répondre à son appel, de se jeter littéralement de mes bras et de le rejoindre dans la chambre, solidaire. Le grand, étonné, rit de bonheur. « Regarde, maman, elle m’aime! Elle est venue me sauver! » Ce jour-là, frère et sœur sont devenus alliés.
Depuis, cet amour naissant fleurit. Ce n’est pas toujours rose. Il y a des tapes, des griffures et des cheveux tirés. Des attaques de Bébé-Géant sur les tours de légos élaborées si patiemment. Des bousculades de 4 ans qui font hurler de rage. Des injustices parfois, aussi.
Mais, des moments tendres de complicité jalonnent leur quotidien alors qu’ils s’apprivoisent. L’émerveillement dans l’oeil du grand frère quand la petite sœur arrive à lui lancer le ballon. Son petit cri de joie à elle quand il revient de la garderie. Tous les câlins donnés pour rien. Et le plaisir qu’ils ont à se retrouver, tous les matins.
Et moi, j’ai appris qu’un coeur ne se sépare pas, il s’agrandit. Et quand je les vois apprendre à s’aimer, mon grand tigre sensible et ma petite fée déterminée, je me dis qu’on écrit ensemble la plus belle des histoires.