Fiston ne parle pas, ne marche pas, il est aux couches, on doit lui faire à manger et le faire manger, lui donner à boire dans des gobelets, lui nettoyer le nez, les oreilles, les orteils, etc. Bref, il n’est pas autonome. Le problème c’est que mon fiston aura 20 ans cette année! Je suis la maman d’un jeune adulte polyhandicapé sévère pour qui je dois tout faire. TOUT! Comme pour un petit bébé de 6 mois.
Fiston a gagné à la loterie génétique, ils sont moins d’une quinzaine comme lui sur toute la planète. Cependant, des enfants-adultes comme fiston, il y en a plusieurs, et des mamans épuisées comme moi aussi. Nous ne sommes pas nécessairement épuisées de nous occuper de nos enfants, mais peut-être plus d’être considérées comme du cheap labor sous l’appellation « proche aidant ». Parce que nous faisons exactement la même chose qu’une ressource de type familiale (RTF) ferait avec nos enfants-adultes, à la différence que cette RTF est rémunérée. Son salaire est assez élevé pour lui permettre de ne pas à avoir à occuper un emploi, contrairement à nous qui devons souvent accepter des emplois précaires pour éviter l’aide sociale. De plus, une RTF n’a pas à s’inquiéter de perdre sa maison adaptée (faute de revenus suffisants), elle peut se payer du répit, peu importe sous quelle forme (vacances, sorties, soutien) et son revenu sera considéré pour le calcul de sa rente le temps venu, ce qui n’est pas le cas des parents aidants.
Quand j’évalue ma situation, j’ai l’impression que les dés sont pipés. J’ai reçu le relevé m’indiquant qu’à la retraite, je serai pauvre. $245 par mois, c’est tout ce qu’on me donnera au provincial pour avoir mis ma carrière de côté afin de prendre soin de mon adulte polyhandicapé. Et être diplômée universitaire ne change rien à la donne! Pourtant, il en coûterait moins cher à l’état de nous octroyer un support financier adéquat plutôt que de payer une personne extérieure pour prendre en charge nos enfants. Devant cette injustice, j’ai joint ma voix à celle d’un regroupement de parents partageant la même réalité; ensemble, nous voulons convaincre le gouvernement de nous offrir son soutien et de permettre ainsi à nos enfants de pouvoir rester avec nous.
À vous qui pensez « Mais vous le faites gratuitement déjà, pourquoi ouvrir le portefeuille? », je réponds ceci : dans les faits, faute de soutien financier, plusieurs familles n’ont d’autre choix que de jeter la serviette et de demander le placement de leur enfant-adulte. Je dis enfants-adultes parce que malgré le fait qu’ils atteignent l’âge de la majorité sur papier, dans leur quotidien, ce ne sont que de tout petits enfants qui ont besoin de câlins, de réconfort, de sécurité et de l’amour de leurs parents pour être bien. Rajoutez à ça un nombre de places disponibles nettement insuffisant et un manque flagrant de personnel qualifié, vous obtenez une équation explosive : en plus de briser une famille, vous risquez de traumatiser un enfant déjà fragilisé.
Alors on en est là. Des parents épuisés et un gouvernement qui ne respecte pas l’engagement qu’il a pris lors des dernières élections, soit celui de rétablir l’équité entre le soutien financier des RTF et des parents d’adultes lourdement handicapés. La semaine dernière, une maman dans la même situation que moi a organisé une rencontre avec le ministre délégué à la santé, Lionel Carmant, afin qu’il ait une meilleure compréhension de notre réalité et qu’il constate par lui-même l’urgence du soutien financier à nous accorder. J’étais présente et j’espère sincèrement que ça fera avancer les choses plus rapidement, car j’avoue avoir vraiment très peur de tomber au combat avant qu’un hypothétique programme d’aide ne se concrétise. Je veux garder mon grand petit fiston avec moi, dans sa maison adaptée spécialement pour lui, aidez-moi à y arriver M. Legault!
Signé Carolyne Bernatchez, mère de Félix