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Comment la suce nous a rendus (presque) débiles.
Crédit: Kristina Paukshtite/Pexels

Si J’AI mis une suce au bec de ma fille, je le regrette aujourd’hui. Je ne voulais pas lui faire de mal. C’était pour bien faire et faire comme tout le monde. C’était pour avoir la paix.

Je ne dormais pas, voilà tout. Depuis plus d’un mois. Depuis la naissance du bébé, je vivais dans le halo gris d’une nuit-jour. J’allaitais en continu (ouch!). J’échappais tout. Je pleurais trop. C’était J’étais insupportable.

Puis la solution m’est apparue. Ce sont mes amies surtout qui insistaient : «Anne, arrête de te prendre la tête, donne-lui une suce!».

1.   Parce que, oui, j’étais d’abord très réticente. Je ne voulais pas faire de ma fille une éternelle TÊTEUSE qui, telle une Maggie dans les Simpsons, n’arrive pas à s’exprimer. Je ne voulais pas lui mettre un bouchon, brimer son besoin d’expression et créer un retard langagier.

2.   On dit que la tétine est un nid à microbes. Soigner un bébé toujours enrhumé me semblait épuisant (et un mouche-bébé, vraiment dégoûtant).

3.   À la longue, la suce pouvait déformer le palais, c’est ce qu’on disait. Quoique le pouce aussi. Sauf qu’il me semblait plus facile d’inventer la disparition d’une tétine que l’amputation d’un doigt, HA!

4.   Puis elle causerait aussi des otites.

5.   Et des caries.

Mais j’ai flanché.

Ce qu’on a ri, au début. C’était si mignon de l’entendre être ENFIN silencieuse. La petite chose de silicone montait et descendait entre ses lèvres, dans un silence étonnant.

Nous pouvions aller au restaurant sans trop nous attirer les regards réprobateurs des clients. Nous pouvions nous parler. Nous aimer. L’amoureux déménagea même du sous-sol à notre chambre à coucher. Nous dormions. Il dormait un peu comme avant.

Sauf que voilà, comme toute drogue, la tétine s’est transformée en habitude. 

À toute heure du jour (et de la nuit), ma fille ressent maintenant une envie irrésistible de sucer.

Il lui faut sa suce.
Et vite.
Et tout de suite.
Sinon, c’est la crise.
Sinon, elle hurle.
Sinon, en public, c’est gênant.
Comme avant.

Nos nuits sont redevenues infernales. Parce qu’en plus d’allaiter, maintenant, je dois me précipiter de mon lit à la chambre du bébé. Une fois, deux fois par heure souvent. Et vite, vite, vite, enfoncer le bouchon là où il faut. Et dans le noir, fuck. Sans parvenir à trouver où est caché le satané bidule. 

Et bien que j’ai acheté tout un lot de tétines qui glow in the dark, bien que j’en ai rempli le lit, ma fille ne parvient toujours pas à combler son manque en s’enfonçant, elle-même, comme une grande, l’insignifiante mamelle. 

La nuit, j’entends maintenant mon chum rager. Je l’entends aussi le matin – avec nos gueules d’amochés – me parler de retourner au sous-sol, me laisser seule au poste, dans la nuit tempétueuse, doucement perdre la tête et nous perdre aussi.

Dites-moi que je ne suis pas la seule à vivre cet enfer? Dites-moi ce qu’il faut faire?

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