Jusqu’à l’âge de trois ans, Damien n’a jamais été intéressé par les écrans, le dessin ou la lecture. Il jouait avec ses petites voitures qu’il faisait rouler inlassablement sur le plancher de la cuisine. De manière très graduelle, il a commencé à souffrir de strabisme. Au début, ça ne nous inquiétait pas trop. Puis, son strabisme s’est prononcé.
J’avais donc pris un rendez-vous chez l’optométriste afin de me faire rassurer. Je me rappelle de ce jour, bien gravé dans ma mémoire. À cet âge, on leur demande de nommer des dessins faciles à reconnaître comme un avion, un soleil, un gâteau, un oiseau, etc. Damien, du haut de ses trois ans, s’est installé dans la chaise comme un grand. On lui a placé la lunette et le test a commencé.
Son assurance de grand garçon se transformait en malaise. Damien commençait à gigoter sur sa chaise, je le sentais inconfortable, nerveux. Il ne disait rien et pourtant l’image affichée était un gâteau, ce qu’il aurait dû reconnaître. Nous sommes alors passés au dessin suivant. La nervosité augmentait; je le voyais essayer de s’en sortir en nommant tout ce qui pourrait être susceptible d’être représenté : une maison, un garçon, un ballon… J’étais abasourdie. Les images devant moi sont gigantesques (à mes yeux) et mon fils n’arrivait à en reconnaître aucune.
Le verdict est tombé :
« Madame, votre fils ne voit rien depuis sa naissance, il a une hypermétropie grave. »
Je me suis écroulée en larmes et tout est devenu clair : pourquoi je n’avais rien remarqué avant?
L’optométriste était compréhensive et délicate. Elle me félicitait plutôt d’avoir reconnu le problème et d’être venue consulter rapidement. Elle m’expliquait que plusieurs enfants passent leur premier test de vision en entrant à la maternelle seulement. J’écoutais, mais je n’étais pas attentive. Je me répétais en boucle : Damien ne voit rien, Damien ne voit rien… Je me suis sentie tellement coupable!
Ensuite, on m’a expliqué que fiston aurait des verres plutôt épais qui risquaient de grossir son œil, mais qu’on s’assurerait d’amincir le verre le plus possible. On m’a aussi fait comprendre que Damien allait porter des lunettes toute sa vie, qu’une hypermétropie aussi prononcée était inopérable, mais que sa vision risquait tout de même de s’améliorer considérablement jusqu’à son adolescence. Petit soulagement pour moi qui étais toujours en état de choc.
Crédit photo : Anne-Marie Pepin
Le reste s’est enclenché assez rapidement : nous avons choisi la monture et nous avons attendu l’appel pour effectuer les derniers ajustements. Puis, quelque chose de vraiment spécial s’est produit.
Dès que Damien s’est retrouvé avec une paire de lunettes au bout du nez, son visage s’est illuminé! Puis, il a ri. Il a ri béatement pendant les quatre heures suivantes, simplement heureux de voir enfin la beauté du monde. Ça, honnêtement, ça vaut tous les « gros yeux » de l’univers!
Ce moment magique, où mon enfant a vraiment vu pour la première fois, a complètement effacé mes craintes et mon sentiment d’incompétence parentale.
Avez-vous un enfant avec des problèmes de vision? Vers quel âge vous en êtes-vous aperçus?