Enfant, je rêvais trop. J’imaginais beaucoup. Vous savez, des petites choses inutiles comme d’avoir un vélo, des vêtements neufs et des parents qui ne se chicanent pas pour de l’argent.
Enfant, j’avais des rêves trop grands. Je voulais aller à l’université, jouer du violon, danser le ballet. Au lieu, j’allais à la bibliothèque. J’ouvrais des livres où les personnages faisaient tout ça. Toutes ces vies impossibles, le temps de quelques pages, m’offraient leur possible.
Puis, la nuit, j’effaçais leurs histoires avec mes larmes et des mots rangés sous le matelas. Je m’endormais avec la fenêtre ouverte sur le boulevard, les étoiles et l’odeur des pots d’échappement. Le ressac du passage des voitures me berçait.
Si ce que j’avais était petit, mon bonheur imaginaire, lui, était si GRAND.
Au lieu d’avoir, j’avais appris à voir. Je mettais dans mes yeux toutes sortes de choses. Maman peignait dans sa tête. Moi, j’écrivais.
Je voyais bien que nous menions une vie pas ordinaire. Je voyais bien que les tableaux que maman fabriquait la nuit, au sortir de sa job de cuisinière-qui-nourrissait-les-riches, la tuaient (un cancer allait l’achever, en effet, quelques années plus tard).
Je voyais bien, aussi, que les vieux livres s’accumulaient au lieu de se vendre dans la bouquinerie lilliputienne de papa. Je voyais bien qu’on riait de notre vieux linge du comptoir Emmaüs, que les paniers de denrées périmés distribués par l’Armée du Salut goûtaient surtout la honte.
Alors à 11 ans, déjà, je travaillais. Je ne gardais pas pour le fun, comme dans les romans Le Club des Baby-Sitters, mais pour me payer des vêtements corrects, de la bouffe à la cafétéria et pour aller à l’école, plus tard.
Pourtant, à l’université, il me fallu arrimer deux jobs avec mes cours, payer un appartement, trouver de la nourriture et des miettes de sommeil. Et essayer d’étudier, surtout, à travers tout ça.
J’avais le service financier aux trousses, à cause des frais de scolarité en souffrance. À vingt ans, déjà j’avais des dettes de GRANDE.
Alors, j’ai écouté ce qu’on me répétait. J’ai trouvé comment rembourser ce que je devais. J’ai abandonné mes études universitaires (et ma soif de connaissances, et mes rêves et mes aspirations de petite fille). Je suis devenue ADULTE.
Je ne suis jamais devenue auteure comme je le désirais. Ni photojournaliste, ni professeure de littérature. Rien de ça. J’ai payé mes comptes.
Je suis maintenant maman et j’ai peur.
Peur de ne pas offrir l’avenir auquel mon enfant aspire.
Peur de devoir la priver d’université.
Peur de lui apprendre que l’ambition, c’est fait pour les riches pas pour les gens démunis.
Le Québec a aussi son tiers-monde. On n’en parle juste pas (ou peu).
En écrivant ce billet, je suis tombée sur cette étude de Banques alimentaires Québec.
Au Québec, en 2013, on a observé une hausse des demandes d’aide alimentaire.
Pensez-vous qu’on devrait agir davantage contre la pauvreté?