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Le matin où j’ai appris que je serais maman.
Crédit: Flickr
C’était un matin d’avril. Un dimanche, pour être plus exacte. Il était tôt. Tellement tôt que même le soleil s’accordait encore du répit. Il était à peine 4 h 00 pour être juste. Je m’étais endormie la veille au soir avec le cœur qui menaçait d’exploser sous l’effet du stress, de l’angoisse et des mille questions qui ne trouvaient aucune réponse.

En après-midi, mon copain et moi étions allés acheter un test de grossesse. Nous nous étions perdus entre deux rangés de tubes pour guérir les infections vaginales et… les tests. C’était vraiment charmant. Nous ne savions pas lequel choisir. Celui à 8,99$? Celui à 14,99$? Celui à 8,99$ était-il vraiment moins précis? Mais là, sommes-nous cheap à ce point-là? Nous parlions tout de même de notre (probable) futur enfant. Quinze minutes plus tard – oui, oui, quinze –  nous avons décidé de prendre celui à 12,99$. Beau compromis.
 
En marchant vers l’appartement, nous avions eu un débat à propos du « quand faire le test ». Considérant le fait que les hormones soient présentes en plus grande quantité lors du premier pipi, je voulais attendre le lendemain matin. Il voulait que je le fasse tout de suite. En arrivant. Maintenant. « Tu es en retard de six jours », qu’il me disait pour me convaincre. Mais moi, je ne voulais pas prendre le risque d’être déçue et de me dire, une fois le test fait, que je devrais peut-être aller en acheter un autre le lendemain et qu’avoir su, j’aurais attendu. 

Donc, 4 h 00 a sonné et il m’était impossible de me rendormir. Je me suis alors dirigée très rapidement vers la salle de bain, bien que j’avais l’impression que les secondes s’écoulaient en heures et que je ne parviendrais jamais à la pièce qui se trouvait à 15 pas de notre chambre. Assise sur le siège de la toilette, j’ai fixé la boite en carton qui semblait me narguer. Là, à l’intérieur, se trouvait peut-être la réponse aux quelques indices qui pavaient mon quotidien depuis quelques jours.

Cent interrogations tournaient dans ma tête. J’étais en retard depuis six jours, c’était vrai. Mais c’était peut-être dû à un débalancement hormonal. Ces choses-là peuvent arriver. Certaines de mes amies essayaient d’avoir un enfant depuis deux ans, sans succès. Les chances que je sois enceinte comme « ça », sans que ce soit prévu, étaient donc super faibles, hen? J’évaluais les options comme s’il y en avait cinquante, même s’il n’y en avait que deux. Soit j’étais enceinte, soit je ne l’étais pas.
 
J’ai donc fait le test. Mais avant, j’ai lu les instructions (question de repousser le moment), comme s’il n’était pas évident que je doive faire pipi sur la tige. Pourquoi je perdais mon temps à lire ça? Je savais déjà tout ce qui était inscrit. Le résultat pouvait prendre trois minutes à apparaître. D’accord, d’accord. J’ai donc fait ce que j’avais à faire. À peine cinq secondes plus tard se dessinait une ligne, identique au tracé que font les avions dans le ciel. Une ligne bien droite montant en flèche, pour former le signe « + » : le signe te hurlant que tu portes la vie.
 
À ce moment, j’ai incarné le mot « contradiction ». Pourquoi aucune guirlande de lumière ne sortait du test de grossesse? Où étaient les confettis? Le clown, le poney, la fête foraine? Pourquoi je ne pleurais pas? N’étais-je donc pas contente? Pourquoi Montréal continuait de dormir alors que j’étais en train de vivre l’un des moments charnières de ma vie? Pourquoi j’avais reçu un coup si fort à l’apex? Pourquoi avais-je eu la certitude, en une demie-seconde, que j’étais maintenant invincible?

Ainsi, c’était maintenant. Pas demain, pas dans huit mois. Ce moment, celui dont on jase souvent entre deux verres, à grands coups de « Et toi? Veux-tu des enfants? Quand? », celui qu’on appréhende, celui qui nous fait réaliser que nous ne sommes jamais préparés à « ça ». Mais là, j’ai bu du vin le weekend dernier. Mais là, on n’a pas fait l’amour tendrement ces derniers temps, si tu vois ce que je veux dire. Est-ce que ça pourrait être grave? Mais là, suis-je en train de rêver?
 
Mes yeux roulèrent dans le flou quelques secondes, puis j’ai pris une bonne inspiration. Tout irait bien. Ce miracle, comme nous l’appelons aujourd’hui, n’était certes pas prévu pour le moment. Mais y a-t-il réellement un « bon moment » pour la vie? Pour toutes ces soirées où nous en avions parlé, les yeux pleins de rêves et de sourires, pour toutes ces fois où l’idée avait été lancée. J’ai cependant compris qu’en parler, en théorie, était à des années lumières de le vivre, dans la « vraie » vie.

Il était vrai que nous étions encore à l’université, que nous étions loin du Condo de luxe et de la voiture de l’année – nous n’avions pas, et n’avons toujours pas, de voiture – mais nous nous aimions, et nous étions habités par le désir de vouloir nous tenir la main le plus longtemps possible entre les aléas de l’existence. Il était vrai que nous n’avions pas mis 15 000$ dans un compte d’épargne à intérêts élevés et que nous étions « jeunes ». Mais nous avions de bons emplois, nous avions un bel appartement et, surtout, notre amour était sincère. Et même si ça ne payait pas les factures, ça valait, à nos yeux, tous les comptes-conjoints et les hypothèques du monde.
 

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