La semaine dernière se tenait la soirée d’anniversaire de mamie. Elle a eu 79 ans. Nous étions tous réunis autour de multiples bouteilles de vin, de pains baguette, fromage et de rires. Tout le monde parlait en même temps et c’était beau. Nous avions tous quelque chose à dire à propos de tout et de rien, assis autour de la grande table sur la terrasse.
Nous étions survoltés à l’idée de sortir ces paroles qui étaient coincées dans nos gorges. Même si nous étions à Terrebonne, je suis convaincue qu’on nous entendait depuis Montréal. Supposément que la joie a ce pouvoir-là, celui de se propager très loin.
Puis j’ai regardé mamie. Je n’avais jamais eu l’impression que le temps avait passé depuis que je la connaissais, depuis 24 ans. Certes, elle avait un peu plus de difficulté à marcher. Elle répétait ses histoires un peu plus souvent. Elle se fatiguait plus rapidement. Mais cela comptait-il vraiment? Je l’avais toujours vue avec ses cheveux blancs. Elle faisait encore des carrés au beurre d’arachides. Elle buvait encore du vin. Elle m’appelait encore « ma noire ».
Dans mes yeux, mamie était identique à l’image en haut de votre écran. Elle n’avait pas changé. Elle avait le même visage, elle avait la même voix et ses cheveux étaient de la même longueur. Mamie allait encore chez la coiffeuse chaque semaine. C’était son plaisir à elle.
Mais mamie vieillit. Si elle fait encore des carrés au beurre d’arachides, elle ne fait plus de beignes. Si elle se présente à toutes les soirées, elle part plus tôt. Si elle avait des problèmes de dos depuis un certain temps déjà, elle peut maintenant en parler durant de longues minutes, à grands coups de : « J’ai tellement mal au dos. Mon médecin m’a dit que c’était de l’usure! Qu’il n’y avait rien à faire. Je m’haïs assez pour ça! », « J’ai pris 23 livres lors de ma ménopause et je n’ai jamais été capable de perdre ce gras-là. Je m’haïs assez pour ça! » ou encore « J’ai de la difficulté à marcher. Je m’haïs assez pour ça! ».
Entendre ça m’a fait de la peine. J’ai réalisé que même si mamie était la même en apparence, mamie se transformait peu à peu. J’ai réalisé qu’elle s’haïssait pour une chose hors de son contrôle, cette chose que l’on surnomme la vieillesse. Qu’elle était trop orgueilleuse pour marcher avec une canne, qu’elle était trop orgueilleuse pour se faire aider à monter les escaliers. Mamie avait toujours été fière. Mon cœur s’est serré en comprenant que j’agirais probablement de la même façon.
Mamie croyait qu’elle était encore capable, même si ce n’était plus le cas.
Je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter pour observer les rides de ceux qui m’entourent, pour essayer de capter leur odeur ou leur manière de parler. Prendre le temps, le mettre sur pause et emmagasiner les images avant qu’elles ne deviennent que des souvenirs.
En regardant mamie ce soir-là, j’ai réalisé que mamie ne serait pas toujours là. Je l’avais toujours su, comme on sait qu’après l’été vient l’hiver, mais je ne l’avais jamais compris. Dans ma tête, il semblait impossible qu’elle n’apparaisse plus sur une photo à Noël. Il me semblait impossible de voir papie accompagné par son fantôme. Il me semblait impossible de ne plus voir son sourire s’accorder avec ses yeux. Elle avait toujours été là.
Mais ça arrivera, puisque la mort fait partie de la vie.