Avant d’avoir ma fille, j’ai fait une fausse couche. Comme des milliers de femmes, j’ai perdu un petit bout d’humain qui avait élu domicile dans mon bedon. Voici mon histoire. J’espère qu’en la partageant, je pourrai mettre un petit baume sur cette peine que nous sommes trop à vivre.
2013. Je suis toute seule, chez moi, en revenant du boulot. J’ai mal au ventre. Mal au ventre comme rarement j’ai eu mal. Comme si on me poignardait avec une conviction peu commune. Je vais aux toilettes. Je m’assois sur la cuvette et je me vide… littéralement. Je saigne jusqu’à en remplir le bol. Je pleure. J’ai mal. Je ne sais pas ce qui se passe. Ce ne sont clairement pas des règles. J’attends dans la peur.
Je me relève, je me doute de ce que je vais voir en me retournant, mais je dois y faire face. Je dois voir, constater. Je me retourne et je te vois au fond de ma marre de sang. Toi, petit être, petit fœtus, petit bout d’humain mort, immobile, recroquevillé. Mon cerveau et mes yeux ne connectent pas. Je n’assimile pas, je ne comprends pas. Je pleure, je crie. Je tombe par terre. Je suis dans un vide immense. J’étais enceinte?
Le lendemain, je vais au sans rendez-vous de mon ancienne médecin de famille. J’attends parmi des gens qui ont le rhume, qui veulent une prescription pour la pilule, pour une radiographie de genou, pour un vaccin contre la grippe. J’attends avec ma peine, mon ventre vide et toute mon incompréhension. Je passerai la dernière, évidemment. Mon amoureux des derniers 9 mois me rejoint. On attend en silence, plein de points d’interrogation dans les yeux, les mains serrées l’une dans l’autre, ma tête sur son épaule et son bras qui essaie d’être réconfortant autour des miens.
J’entre, tremblotante, dans le cabinet. Je m’assois face à la froideur de la médecine. J’explique que j’ai perdu un bébé la veille et que je ne sais pas quoi faire maintenant. Le médecin me fait faire un test de grossesse. Je m’exécute, sans trop comprendre. Il est positif. Elle me confirme que ça veut dire que c’était bien un bébé, et non un caillot de sang. Elle confirme ce que je savais déjà : je l’ai vu, avec ses petits bouts de mains, sa petite tête, toute.
Elle me dit, parmi plein d’autres choses, que je suis peut-être encore enceinte, que j’avais peut-être des jumeaux et qu’il m’en reste peut-être un. C’est beaucoup de « peut-être », ça, surtout quand tu étais sencée ne pas être enceinte, puis que tu perds un bébé dont tu ignorais l’existence. Jamais elle ne m’a parlé de soutien psychologique, et moi, j’étais comme trop sonnée pour en demander. Mais à y repenser, ça aurait dû être notre premier réflexe parce que la mort, c’est la mort. Peu importe combien de jours, semaines ou années la vie a existé.
Le lendemain, je vais au CLSC pour la prise de sang. J’attends les résultats comme on attend après le Bonhomme 7 heures quand on se couche, petit : avec angoisse et excitation. Je souhaite que le test révèle qu’il y a un autre petit bout d’humain en pleine forme dans mon bedon, même si je sais que le positif est probablement seulement lié aux hormones de grossesse qui prennent environ 19 jours à quitter notre corps.
5 longues et interminables journées de marde passent. Je vais à l’hôpital chercher le papier de résultat parce que je ne me vois pas attendre que la doc’ me rappelle dans encore quelques jours. Je l’ouvre. Ça me donne un chiffre. Un chiffre seul, sans explication. Je m’attendais à quelque chose d’évident, comme dans les films : un grosse étampe rouge qui dit « enceinte » ou « try again, meilleure chance la prochaine fois ». À la place de ça, je google le chiffre pour essayer de l’interpréter du haut de mon combo DEC-DEP. 15 ans de médecine n’ont rien à envier à Google, que je me dis.
Le chiffre correspondait à un taux d’hormones trop bas pour que je sois encore enceinte. C’est donc dire que tu étais seul dans l’immensité de mon bedon.
Et là, je me suis assise dans mon auto et j’ai pleuré. J’ai pleuré autant de larmes qu’il pouvait y avoir de sang dans la cuvette quand je t’ai vu. J’ai pleuré et j’ai compris que personne ne pouvait saisir la douleur et le sentiment d’échec, de rejet, de vide qu’on ressent quand on perd un petit être en formation. Quand ce petit humain décide que c’est assez. Quand on expulse un bébé qui n’est pas encore assez fort pour se battre. Quand on expulse quelqu’un qu’on aurait tellement voulu retenir.
Même si je ne savais pas que je t’avais en moi, mon désir de devenir maman a toujours été comme un grand parasol coloré au-dessus de ma vie. Savoir que j’avais touché à ce que j’ai toujours voulu, sans pouvoir réellement en profiter, ça a jeté un gros nuage noir sur les mois qui ont suivi et sur ma deuxième grossesse. Quand tu perds un bébé, tu as la crainte de tous les perdre. Tu es contente d’être à nouveau enceinte, mais tu te dis toujours : « Et si celui-là aussi me quittait? »
Mais il y a l’espoir, il y a ma Flavie. Il y aura d’autres Flavie et d’autres bébés-anges.