Je sais pas pour vous, mais je n’avais jamais entendu parler de ça avant que ça m’arrive. Dans tous les films, séries, livres, témoignages d’amies et même dans les nombreux vidéos d’accouchements réels, je n’ai jamais vu une femme accoucher sans s’époumoner, maudire tous les saints, crier sa vie avec des grognements venus de l’au-delà, symbolisant bien le travail de super-héroïne qu’elles sont en train de faire en faisant naître le fruit de leurs entrailles.
Évidemment que les douleurs sont atroces, me disais-je et moi qui suis déjà drama-queen, j’imaginais des sons de temps anciens sortir de moi au moment de la délivrance. En fait, je m’imaginais gueuler plus fort que jamais une femme n’a gueulé! Mais dans la réalité, ce n’est pas ce qui est arrivé. Pas du tout même. Et ce, à mes deux accouchements. Pas un cri. Pas un cri, que dis-je, pas un son. Accoucher en silence, ça se peut?!
Ce n’était pas prémédité du tout. Je ne pensais pas que ça se pouvait, ça ne m’avait donc tout simplement pas traversé l’esprit. Les deux fois, à 4 ans et demi d’intervalle, le même scénario : j’avais perdu mes eaux à la maison, j’ai pris une douche, me suis lavé les cheveux (#priorités1), parti le lave-vaisselle (#priorités2) et suis partie à l’hôpital avec mon conjoint.
Arrivée là, les contractions qui étaient supportables deviennent rapidement intenables. Mais je ne sais pas pourquoi, aucun son ne sort. Et ce qui est le plus étrange, c’est que je ne refoule rien, bien au contraire. Je suis dans l’introspection totale. Je n’entends plus rien, je ne vois plus rien et je passe la majorité du travail les yeux fermés, concentrée à passer par-dessus les vagues et accueillir l’enfant qui fait sa descente. Me voilà à l’hôpital, mais pour un accouchement tout ce qu’il y a de plus naturel, même pas un Tylenol dans le corps. Chaque fois, malgré les douleurs accrues, intensifiées et de plus en plus rapprochées tout se passe par en-dedans. Je traverse les vagues les yeux clos et la bouche fermée, inspirant et expirant dans le silence le plus total.
Non seulement je ne suis pas surprise par le silence, mais je l’accueille, le materne. Ce moment en est un de recueillement dans la douleur. Les infirmières un peu surprises me laissent seule la plupart du temps. Sentant peut-être davantage le caractère sacré de l’expérience, elles ne me dérangent en tout cas jamais dans ce chemin qui est le mien. Mon conjoint me parle parfois quand il voit à mon visage la douleur passer, mais au fur et à mesure que le travail devient plus intense, je ne l’entends plus. J’ai parfois conscience qu’il me parle et, je dois l’avouer, ça me dérange. Je lève une main pour le faire taire, sans dire un mot. Il comprend et, les lumières tamisées, embrasse ce silence avec moi.
Et quand vient le temps de la poussée, je n’ai aucune idée si ça fait une minute ou des heures que je suis dans le silence de la souffrance. Le personnel médical s’affaire, se prépare tandis que je pousse. Encore une fois, pas de rugissement, pas même un gémissement de ma part ; mes enfants sont sortis et c’est chaque fois leur musique à eux qui ont rompu ma transe et le mutisme du temps. Ils sont sortis de moi et brusquement ont rempli le silence, tout le silence qui se tapissait en moi, de leurs petites vies. Et c’est ce cri primal, le soulagement de la vie qui éclot enfin, qui a fait toujours écho quand je me remémore leurs naissances.