Ça s’est passé au cours de la grosse poussée dentaire, juste au moment où je venais de recommencer à travailler. Depuis plusieurs jours, je ne dormais presque pas et la fatigue accumulée associée à l’énervement du retour au travail a eu raison de ma patience : j’ai crié après mes bébés.
Dans certaines circonstances, crier aide à se soulager, à se défaire d’un stress pour reprendre contrôle sur soi-même. Cette fois, en voyant ma fille cesser tout à coup de pleurer – surprise, étonnée, mais surtout effrayée – puis recommencer de plus belle, la peur au ventre s’ajoutant à la douleur de la percée dentaire, j’ai été incommensurablement attristée et j’ai été submergée par la culpabilité. Sa sœur, que j’essayais tant bien que mal de bercer sur sa petite chaise bleue, a eu la même réaction et se tortillait comme pour essayer de s’enfuir. Les mots apaisants, les chansons douces n’y faisaient plus rien : mon cri de maman épuisée avait empiré la situation.
Il s’est alors passé une chose étrange. Au milieu des pleurs déchirants de mes filles (et des miens parce que oui, je me suis aussi mise à pleurer), j’ai fait un vœu de silence. Je me suis dit que plus jamais je ne crierais après elles alors qu’elles n’étaient pas bien.
J’allais mettre ma fatigue, ma frustration et ma peine dans une petite boîte (métaphorique) et l’ouvrir si j’en ressentais le besoin seulement après avoir pris soin de mes filles. Je me suis alors mise à fredonner l’air de « Meunier, tu dors » comme une espèce de mantra, pendant que mon bébé A pleurait dans mes bras et mon bébé B pleurait dans sa petite chaise.
Plutôt que de voir la situation comme « nuisible », dans le sens de « je suis trop fatiguée pour ça, j’en ai pas envie, je dois encore nettoyer la cuisine et laver les biberons » (ce qui était le cas), je me suis dit que j’étais en train d’assister mes filles dans ce qu’elles vivaient, que j’allais les aider du mieux que je pouvais à retrouver le calme (ce qui a été le cas), le reste pouvait bien attendre.
Je me suis aussi rendu compte que mon envie d’agir activement pour améliorer la situation avait eu l’effet contraire, c’est-à-dire que j’avais nui par ma frustration de ne pas arriver à calmer rapidement mes filles. Aussi difficile que c’était de le réaliser, il n’y avait pas autre chose à faire que de faire appel aux dernières miettes de patience qu’il me restait (quand il n’y en a plus, il y en a encore!) et attendre que ça passe. Elles avaient bu leur lait, eu leur dose de Tempra, je les berçais et je fredonnais le mantra.
Que faire de plus? Rien. Rien d’autre que d’attendre. Rien d’autre que d’être là. Respirer. Expirer. Rien d’autre que de sentir la chaleur de ma fille sur moi, d’essuyer ses larmes, lui caresser les cheveux. Rien d’autre que de me pencher pour faire de même avec mon autre fille, assise sur sa petite chaise bleue. Lui caresser la joue mouillée et lui dire que tout allait bien et que la dent allait bientôt percer.
Rien d’autre que de la voir esquisser un sourire dans la pénombre, la chambre étant à peine éclairée par une veilleuse. Rien d’autre que de sentir mon cœur fondre. Rien d’autre que d’attendre le retour au calme. Le calme fut long à venir, mais il est venu. Mes filles se sont endormies. Je les ai couchées dans leurs lits, leurs doudous contre elles. J’ai caressé leurs cheveux une dernière fois, jusqu’à la prochaine fois, qui aurait lieu quand? Dans quinze minutes? Une heure? Le lendemain matin? Peu importe, puisqu’on n’y est pas encore. Tout ce qui compte, c’est leur souffle tout doux et les petits cheveux soyeux. Là. Maintenant.
Depuis cette nuit-là, et donc depuis quelques mois déjà, j’applique ce vœu de silence pour chaque nuit blanche due à une poussée dentaire, pour chaque coucher difficile, pour chaque réveil la nuit. Croyez-moi, c’est loin d’être évident et quelques mots fleuris s’échappent souvent parfois en murmure de mes lèvres. En attendant d’être pleinement zen, je suis #ZenPasZen et je deviens l’incarnation de cette illustration d’Ana Roy :
Comment passez-vous au travers des nuits difficiles lorsque vous commencez à perdre patience?