Ma fille aînée avait trois mois lors de sa première hospitalisation. Un simple rendez-vous de routine qui s’est transformé en hospitalisation d’urgence. En quelques minutes, ma vie a basculé. En l’espace d’un moment, je passais du bureau de la pédiatre à une petite chambre où je ne sais plus combien de spécialistes ont examiné ma fille durant trois jours. Les trois plus longs de ma vie.
Cette hospitalisation de 72 heures s’est terminée par la pédiatre qui est partie de chez elle, en pleine tempête de janvier, pour venir nous annoncer que tous ceux qui étaient passés dans cette petite chambre avaient besoin de l’expertise d’autres spécialistes. La liste des diagnostics potentiels s’allongeait et ils devaient transférer notre fille dans un hôpital pour enfants à Montréal. Mon cœur a explosé en mille morceaux.
Lors de la première journée d’hospitalisation de ma fille, alors que je défaisais sa petite valise, les mains tremblantes et les yeux pleins de larmes, ma sœur qui est infirmière est passée prendre des nouvelles. Elle aussi était sans mot par rapport à ce revirement de situation. Elle m’a quitté pour son quart de travail puis est revenue me voir dans la soirée pour m’emprunter une doudou.
Quelques étages plus bas, une maman vivait pire situation que la mienne.
Je ne comprenais pas trop, mais je lui ai donné une petite couverture. Une parmi toutes celles que j’avais apportées. Puis, ma sœur m’a expliqué qu’un petit bébé était décédé lors de sa naissance et que sa maman voulait une doudou pour le bercer. Un frisson de panique m’a envahi.
À ce moment, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas seulement la maladie qui rôdait entre les étages de cet hôpital, mais la mort aussi. Elle se promenait d’un étage à l’autre et même si j’en voulais à Dieu, l’univers et la vie de m’avoir enfermé en ces lieux, je me suis fait la promesse que j’étais prête à affronter ce que l’avenir nous réservait, que ce soit la mort ou n’importe quelle maladie.
Les années qui ont suivi cette promesse ont été plus que difficiles. J’essayais de traverser, tant bien que mal, le processus d’acceptation de la différence de ma fille. C’était difficile de tenir ma promesse. Les diagnostics se succédaient au point d’en faire une enfant handicapée. Ce deuil de « l’enfant normal » a été très difficile émotionnellement. Même si je vivais la normalité avec mon fils Justin, ça ne changeait rien face à mon processus d’acceptation pour ma fille Ariane.
Et est arrivée Livia. Livia la petite fille imprévue, mais tellement adorable. Livia la petite « normale ». Cet enfant, qui pour plusieurs, allait mettre un baume sur mon cœur endeuillé. Cette princesse qui allait remplacer celle que j’avais attendue, espérée, mais qui était finalement handicapée. Ariane, ma douce et fragile poupée de porcelaine.
Ce n’est pas Livia qui a mis fin à mon processus d’acceptation. C’est moi. Livia ne pouvait rien à ce processus. Aucun enfant, aussi fantastique soit-il, ne peut mettre fin à un deuil. Un deuil demande un abandon de soi face à sa douleur. Nous sommes seuls face à nos larmes et notre colère.
Par contre, je dois avouer que quand j’ai vu Livia s’emballer en découvrant la maison de poupées rangée dans un coin, celle qu’Ariane n’a jamais daigné regarder, j’ai souri. J’ai souri de savoir que cette maison rose aux volets blanc qui m’a fait tant pleurer allait enfin créer des moments heureux. Que toutes ces poupées rangées allaient pouvoir être libérées de leurs boîtes. J’ai souri de voir que ces objets sans intérêt pour ma poupée de porcelaine soient devenus de réels trésors pour ma princesse.
Même si princesse Livia est flamboyante, il n’en demeure pas moins que c’est Ariane, ma poupée de porcelaine, qui m’a appris mes plus belles leçons de vie. Entre autres, qu’un deuil se fait au fil du temps, des changements, mais pas avec l’arrivée d’un autre enfant.