Il était tout juste 7 h du matin quand j’ai pris conscience que tu étais là! Mon cœur s’est rempli de fierté et mes yeux de larmes. À ce moment-là, j’étais persuadée de ne plus jamais pouvoir arrêter de pleurer de joie.
J’ai été une maman heureuse dès les premières journées. Tu as vite pris toute la place dans mon cœur et dans ma tête. Mon travail me permettant de côtoyer des enfants chaque jour, j’éprouvais un immense bonheur à « te chercher » dans chacun des petits hiboux que je regardais. Auras-tu un nez parfait comme la petite Stella? Auras-tu les cheveux foncés comme mon Loïc? Seras-tu collant comme la petite Mégane? Je dessinais peu à peu un portrait de toi. J’avais si hâte de t’entendre pleurer, rire et crier dans ce berceau en osier qui prenait place dans ta chambre déjà prête. Je n’avais aucun doute, tu allais l’adorer!
J’anticipais avec la plus grande joie du monde ce moment ou je pourrais enfin te voir par l’entremise d’une échographie. J’avais rendez-vous le 3 janvier. J’allais commencer la nouvelle année avec la plus belle image du monde devant mes yeux. Mes vacances de Noël se sont déroulées comme prévu. Tu as été gâté. Jouets, balançoire, pyjamas, etc. Ce Noël-là, je l’ai ressenti. J’ai ressenti ce que c’était de recevoir le plus beau cadeau qu’on puisse avoir. T’avoir toi dans mon ventre à peine rond.
Ce matin du 3 janvier, j’avais tellement d’amour en moi. J’ai probablement heurté des gens en marchant dans la rue avec cette immense boule d’amour qui m’entourait. Couchée sur la (très froide) table d’examen, je t’ai vu. Mesures : parfaites! Tous les morceaux visibles étaient là. Tu avais exactement les mesures qui correspondent au nombre de semaines que tu as passées en moi. Ton petit corps a grandi dans mon ventre.
Mais, quelques minutes plus tard, un climat sombre s’est installé dans la salle. Le technicien a continué l’examen. Il appuyait très fort sur mon ventre. Dans mon cœur résonnait : « Lâche-nous! Bébé est là. C’est terminé. On se revoit dans quelques semaines ». Dans ma tête résonnait : « Il nous manque quelque chose! ».
« Je vais chercher le médecin. »
Mon cœur s’est arrêté. J’ai construit en une fraction de seconde, un immense mur de béton autour de nous. Il n’y avait aucune chance que quelqu’un vienne « nous briser ». Maman te protège! Ce médecin, il n’a eu besoin d’aucun outil, d’aucun explosif ou de machinerie lourde pour démolir mon mur si soigneusement bâti. Il a dit : « Je n’ai pas de cœur ».
Tu étais là, mais ton petit cœur ne s’est pas présenté au rendez-vous. Pendant un instant, j’ai cru que mon cœur aussi était en train de se sauver à la vitesse grand V dans les couloirs de cet hôpital.
« Je n’ai pas de cœur »… Puis, après nous avoir parlé des probabilités de faire une fausse-couche, il a ajouté avec une délicatesse sans fin quelque chose du genre : « Il faut que tu prennes rendez-vous pour enlever ça, il y a des risques d’infection ». Ça. Hier, tu étais mon bébé, maintenant tu es « ça ».
Il m’a fallu plusieurs longues journées à caresser mon ventre et une deuxième échographie quelques jours plus tard pour me rendre à l’évidence. Tu étais encore là, bien accroché. Mais c’était fini. Mon corps n’était plus en train de construire quoi que ce soit. Malgré la peine et le sentiment de dégoût profond que j’éprouvais pour mon corps ce jour-là, une pensée revenait toujours sécher mes larmes : tu avais choisi MON ventre pour venir vivre les douces premières semaines d’une vie si courte. Tu m’as choisie comme maman. J’avais fait un choix : tu partirais comme un bébé. Pas comme un simple « ça ».
Il s’est passé près de deux semaines avant que je sois confrontée à ce moment. J’avais envie de vivre ça à la maison avec toi. Les rugueuses tables d’examen du centre hospitalier me donnaient maintenant la nausée.
« Prends-en deux. Si ça ne marche pas après quatre heures, reprends-en deux ». C’était la consigne pour vivre « mon accouchement » à la maison avec l’aide d’une médication dévastatrice. 10 h, c’est parti. Mon corps a pris deux longues heures avant de réagir. Deux longues heures durant lesquelles je me disais : merde, et si j’avais fait le mauvais choix?
Il aura fallu dix heures de contractions répétées. Parfois plus qu’une vingtaine par heure. Debout, assise, couchée, dans la douche, dans le bain, en pyjama, nue, en robe de chambre. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai hurlé toute la douleur qui me transperçait depuis des heures. En fin de soirée, tu n’étais plus là.
Tu m’as choisie comme maman et j’espère, mon trésor, avoir fait le maximum pour toi. Si ton petit cœur avait tenu le coup, tu serais arrivé dans nos vies à la fin de semaine de Perséides en août. Chaque année, je te promets de te chercher parmi les étoiles filantes comme je t’ai cherché dans les enfants il y a quelques années.