C’est en berçant mon bébé de longues minutes pendant qu’il dormait que j’ai réalisé ce soir combien les choses avaient changé. Non, je le savais déjà. Mais ce soir, j’ai été mise devant les faits.
Pendant que la vaisselle traînait sur le comptoir, que la brassée de lavage m’attendait dans le panier, que le plancher m’implorait de lui passer un petit coup de balayeuse, que mes menus de la semaine n’étaient pas encore faits, moi je berçais mon bébé en le regardant dormir, ne voulant pas le laisser tout seul dans sa couchette, et l’enveloppant de tout mon amour, mais aussi en étant morte de peur.
Je ne me souviens pas avoir ressenti une telle peur, une telle insécurité, avant la perte de mes jumeaux. J’avais ma fille, je la tenais pour acquise, et je nous croyais invincibles. Rien ne pouvait nous arriver, et je n’ai jamais eu peur de la perdre. Car la vie était bonne pour nous. Nous vivions à cent à l’heure, métro, boulot, dodo. Nous formions un trio parfait, mon chum, ma fille et moi, en attendant que les autres membres de notre famille se joignent à nous.
Puis c’est arrivé. Nos petits trésors ont pointé le bout de leur nez, pour ensuite repartir peu de temps après au paradis des bébés. Malgré le fait qu’aujourd’hui le deuil se fait peu à peu, les choses ont changé. Je constate combien j’ai pu être naïve de croire que le bonheur était acquis et éternel pour ensuite être devenue cette mère insécure, surprotectrice, anxieuse. Cette mère qui a peur de faire garder ses enfants et pour qui les petits bobos et les petits virus l’empêchent de dormir et sont traités à la puissance mille. Cette mère qui a peur tous les jours de perdre un ou ses enfants, pendant leur sommeil, dans un accident, en s’étouffant, dans un incendie, lors d’une chute dans l’escalier, d’un cancer…
Mais, heureusement, il y a aussi cette mère qui dit plus souvent « je t’aime », qui savoure tous les petits moments doux de la vie, ça aussi à la puissance mille, qui sait que la vie peut s’arrêter à tout moment.
Je peux dire aujourd’hui que je prends davantage le temps pour observer ma fille qui grandit merveilleusement bien, en m’extasiant devant toutes ses petites prouesses, ses petits accomplissements, ses petits dessins et ses petits spectacles de danse. Et je prends davantage le temps de bercer mon bébé, de le cajoler, de le regarder dormir. De noter chaque petite chose nouvelle dans un journal quotidien pour être sûre de ne pas passer à côté de quelque chose et de n’oublier aucun souvenir.
Car je SAIS maintenant que chaque jour est peut-être le dernier. Aussi difficile et aussi lourd à porter que ce soit, je peux affirmer aujourd’hui que toutes ces petites choses qui ont changé depuis la perte de mes jumeaux m’apportent quelque chose de plus grand.
Les moms and dads, profitez de chaque moment, de chaque spectacle de danse, de chaque biberon, de chaque match de soccer de vos enfants, et savourez la VIE avec eux… Car quelle chance nous avons!