Je travaille comme ingénieure chargée de projet dans une firme de génie-conseil depuis 9 ans. Trois enfants, trois grossesses, trois congés de maternité. Tout au long de ces années, j’ai vu évoluer le milieu en ce qui a trait aux conditions de travail pour les femmes pendant leur grossesse de même que tout ce qui se rapporte à la conciliation travail-famille. J’ai vu s’implanter de nouvelles politiques en matière de santé et sécurité au travail, comme par exemple le retrait automatique des femmes enceintes sur les chantiers de construction.
C’est à mon 2e retour de congé de maternité en 2011 que j’ai pu obtenir les « privilèges » suivants en termes de conciliation travail-famille :
- Je peux réduire ma semaine de travail à 80 %;
- Je dois être présente au bureau cinq jours sur cinq pour suivre le rythme du travail et des chantiers. Par conséquent, mes journées de travail sont réduites (de 9 h à 16 h) en général avec une pause dîner de une heure (souvent utilisée pour faire des commissions ou régler quelques trucs familiaux, paiements de factures, inscription d’un enfant, etc.);
- Mes heures supplémentaires travaillées sont comptabilisées en vacances ou payées directement;
- Le travail de la maison est possible occasionnellement mais non préférable.
Réalité :
- On m’assigne la même charge de travail qu’un collègue à temps plein, que j’accomplis dans un temps réduit, avec un salaire réduit. On m’a d’ailleurs dit souvent lors d’évaluations de performance ne pas avoir remarqué que j’étais à temps réduit;
- Je dois fréquemment faire des heures supplémentaires pour arriver à accomplir les tâches minimales qui me sont assignées;
- Je n’ai plus le temps de perdre mon temps (n’est-ce pas dans la nature humaine?). Donc, moins de discussions avec des collègues à la machine à café, moins de temps pour procrastiner, classer de la paperasse ou relire des ouvrages de références (t’sais, le jour où t’es pas dedans!). Je suis donc devenue une performer, moi qui pourtant ne souhaite que de ralentir;
- Lorsque je quitte le bureau à 16 h pour aller chercher les enfants à l’école et à la garderie, je m’assure qu’il n’y ait personne dans le corridor qui me voit partir. Je passe par la porte de derrière, comme une voleuse. Je me sens constamment scrutée, jugée de quitter le bureau pendant que d’autres y resteront jusqu’en début de soirée;
- Le soir, de la maison, je dois prendre mes messages et compléter les choses urgentes pour le lendemain;
- Tous les jours, je ressens la pression de faire plus, de prendre plus de projets, de dire oui, de donner un coup de main à ceux qui sont encore plus débordés que moi, par solidarité envers mes collègues, et surtout parce que c’est ce qui est valorisé, encouragé, reconnu;
- J’ai toujours senti, et encore aujourd’hui, qu’on m’accorde un privilège, que c’est une mesure exceptionnelle, et que, dans plusieurs autres firmes, ce n’est pas accepté (acceptable).
La solution parfaite, je ne la connais pas. J’aspire seulement à ce que les mères et les pères qui choisissent de ralentir leur carrière pour se consacrer davantage à leur famille puissent le faire de façon libre, sans se sentir coupables, sans ressentir de pression, sans avoir à rendre de comptes et à juste salaire. Que ce soit encouragé, valorisé et accessible pour tous ceux qui le désirent. Que les grandes politiques de santé et sécurité si bien implantées de nos jours dans l’entreprise privée comprennent aussi un volet santé et équilibre mental, une dimension indissociable du concept de conciliation travail-famille.
Croyez-vous que les mesures de conciliation travail-famille en ce moment sont valorisées dans votre entreprise?