Il était frêle et tremblant. Ce tout petit bébé qu’on pouvait tenir à deux mains. Blotti sur ma poitrine. Les yeux plissés, agressés par la lumière. Sa tête allongée par les poussées. Deux mamans émues et sans mot. Une pluie de félicitations comme trame sonore. Notre fils venait de naitre.
Il n’est pas venu seul, notre fils. Il nous a aussi présenté la Peur. Discrète comme une ombre, elle ne nous quitte plus. Elle se cache sous le lit, nous chuchote des mises en garde. Elle vérifie la respiration de mon fils la nuit. Me pointe les rougeurs et les boutons sur sa peau. Elle appelle le 811 lorsqu’il pleure un peu trop. Puis elle s’excuse. Elle ne veut pas mal faire, la Peur. Elle veut juste réussir à s’endormir.
La Peur était accompagnée. Le Bonheur lui tenait la main. Il nous fait verser des larmes en regardant notre fils. Il nous fait sourire en silence et dire merci en levant les yeux. Il est très convoité, le Bonheur. Il doit parfois s’en aller. Les journées deviennent grises. Le ton monte. Les mots assassins nous lacèrent la peau. Puis la tempête passe et il revient. Il se fraie un chemin avec les rayons du soleil. Il s’assoit sur notre lit et murmure des excuses. Il fait couler des larmes sur nos joues.
Le Regret, lui, a fait un court passage. Il tendait sa main vers la Liberté qui s’éloignait un peu trop. Puis un jour, il est parti en laissant un mot sur la table. Il nous a demandé de ne pas nous oublier, ma conjointe et moi. De prendre du temps pour nous retrouver.
Tout en douceur au milieu de la nuit, l’Amour s’est glissé sous la porte d’entrée. Il est timide, l’Amour. Il faut le laisser approcher. L’Inquiétude et moi l’avons cherché partout. La Peur nous disait qu’il ne viendrait peut-être jamais et la Culpabilité questionnait nos qualités de mères.
Finalement, il nous a rejoints, quelques semaines plus tard, dans la chambre de notre fils. Il est venu combler l’espace entre nos peaux. Il a synchronisé nos respirations. Accordé nos battements de cœur. Il nous a regardés dans les yeux et nous a fait une promesse. Il veillera sur nous. Il sera là quand la Peur et le Regret occuperont une trop grande place à la table, quand l’Inquiétude et la Culpabilité pâliront nos nuits. Il nous consolera lorsque la tempête empêchera le Bonheur de nous retrouver. L’Amour a fait de nous des mamans. Et des mamans, ça ne fait que ça, aimer.
Et pour vous, est-ce que l’Amour a pris son temps?