Lire ici la partie 1 et 2.
Au départ, avec mon p’tit bébé, c’était le parfait bonheur, vous comprenez. Les oiseaux pis les anges tout nus pis les pâquerettes pis toute pis toute. Et voilà que, par un beau matin, l’intervenante sociale de mon enfant m’a téléphoné pour m’aviser de sa première visite supervisée avec sa maman. SA maman. Le mot m’écorchait comme du papier sablé. Les visites supervisées. J’avais été prévenu. Je savais dans quoi je me lançais avec le processus d’adoption « banque mixte ». Je savais qu’un juge avait placé cet enfant chez nous pour une période indéterminée, période durant laquelle il avait décrété que la maman biologique avait des droits de visite deux fois par semaine. La réalité venait de sonner à ma porte et était rentrée chez nous avec ses grosses bottes sales.
C’est donc avec appréhension que je me suis rendu dans une autre ville que la mienne, mon p’tit dans sa coquille ben endormi. J’suis arrivé au centre jeunesse, j’ai annoncé notre présence et j’ai attendu dans la salle d’attente minuscule. La mère biologique est arrivée. Elle était comme je me l’étais imaginée. Jeune, horriblement jeune et pauvre. On ne peut pas passer à côté. Elle était comme un cliché dans sa robe trouée et ses cheveux gras et je me sentais affreusement mal et décadent avec mes sandales Puma et mon chandail Ralph Lauren.
La Bio. C’est d’même qu’elle se ferait appeler à présent. La Bio est rapidement devenue ma pire ennemie, ma fan incontestée, mon amie, mon cauchemar, ma rivale et ma raison de me sentir coupable. Elle s’est assise en me faisant un p’tit sourire. Moi j’étais assis tout près avec son bébé dans les bras. Oui, c’était SON bébé. Une voix me le répétait sans cesse, nasillarde pis un peu bitchy. Ce n’est pas mon bébé.
L’intervenante est arrivée, trépidante de bonne humeur, s’est présentée et a indiqué à la Bio qu’il était temps pour la visite, et ce, avec la joie d’une cheerleader. Un peu plus et je me croyais dans un camp de vacances. La Bio n’avait d’yeux que pour le bébé. J’ai tendu le sac à couches, puis ensuite le bébé. À ce moment-là, je la haïssais, la Bio. Je la haïssais comme jamais je n’avais haï quelqu’un. L’amour de ma vie, ce p’tit bébé qu’on venait de me donner était en train de me filer entre les doigts.
Pis ma haine est partie subitement, parce que je la regardais partir cette pauvre fille-là pis je comprenais. Je comprenais qu’elle n’avait pas demandé à vivre ce qu’elle vivait. C’était une fille qui n’avait pas tiré le bon numéro dans l’jeu de la vie, sa réalité était à des kilomètres de la mienne. Je ne pouvais pas me permettre de la juger, car je n’avais aucune idée ce qu’elle avait vécu. J’me suis donc fermé la trappe et je suis resté seul dans la salle d’attente avec des vieux magazines 7 Jours de 1996, Céline sur le cover, les nerfs en boule, l’oreille tendue pour entendre les moindres pleurs. C’est ici que j’ai attendu pendant une heure et trente minutes à chaque fois, avec la petite secrétaire sympathique qui comprenait mon malheur, mais qui ne pouvait rien faire de l’autre côté de son plexiglas.
Après ce long laps de temps, la Bio et l’intervenante sont revenues avec le p’tit. À chaque fois, j’me disais, ça y est, le p’tit va parler et va dire tout haut : « J’veux repartir avec elle! C’est elle, ma mère! » Mais le p’tit, qui n’était pas capable de saisir les objets encore, restait dans sa coquille, bien sage. La Bio lui a fait un gros bisou et n’arrêtait pas de dire qu’elle l’aimait. Moi j’étais comme un enfant boudeur, j’voulais lui interdire ces mots.
Cet enfant-là était chanceux dans un sens, parce que beaucoup de monde l’aimait, beaucoup de monde voulait son bien. La Bio est partie, penaude, et mon cœur s’est serré. J’suis reparti dans mon char qui shinait la richesse pis la Bio, elle, est repartie sur sa bicyclette rouillée. Mes belles convictions avaient foutu l’camp. J’gagnais, je le savais ben. C’est moi qui avais le bébé, alors pourquoi j’me sentais aussi mal?
Si tout ça paraît morose et soul crushing difficile, ben ça l’est! Parfois ça coule comme l’eau su’l dos d’un canard, c’est-à-dire que le p’tit réagit pas vraiment, mis à part qu’il est fatigué. Pis d’autre fois, le p’tit braille et braille sans arrêt après les visites. Non, non. Pas comme le vôtre. Il BRAILLE. Braille sa vie. Ça dure un jour, deux jours, trois jours. Il braille et ne veut pas se faire prendre. Il braille et veut se faire prendre right fucking now. Cajoler. Aimer. Gérer. Prendre. Bercer. Le garder sur soi sans arrêt. Même quand il semble être paisible et calme, il ne faut pas arrêter. Il ne faut jamais arrêter. Voilà l’étendue des visites. Une anxiété et une peur de l’abandon qu’il faut réparer, rabibocher, recoller, à chaque coup. À chaque fois. Et ce, oui, même pour un si petit bébé.
Alors, pourquoi faire tout cela? Pourquoi est-ce que je me suis imposé autant de drames et de difficultés pour avoir un enfant? Trust me, cette question est souvent revenue pendant le processus. C’est illogique, ça n’a pas de sens de vouloir souffrir autant pour un être humain. Oui, du point de vue logique, ça n’a aucun sens, mais les meilleures choses en ce monde sont illogiques, comme l’amour inconditionnel qu’on porte à quelqu’un. C’est ça, être parent. C’est ça, aimer quoi qu’il arrive. C’est ça, se dévouer.
Et la preuve ultime de cet amour est que, malgré toutes les épreuves, Papa pis Dada sont en liste pour un deuxième projet d’adoption. C’est ti pas merveilleux?