La maladie étendant son territoire davantage, il s’est vu forcé de quitter sa maison et d’aller vivre en CHSLD. Je suis allée le voir une seule fois au tout début, puis, plus du tout. C’était conscient, je crois, comme abstention. Ça me faisait trop mal.
La maladie de mon grand-père est mon premier contact avec cette vieillisse tragique, qui efface les souvenirs, fait perdre ses moyens et son autonomie. Autour de moi, plusieurs personnes sont décédées jeunes. Mon père à 31 ans, ma grand-mère à 61 ans, ma cousine et mon amie à 16 ans, ma fille à 3 ans et demie. Alors pour moi, les gens meurent rapidement, sans dépérir trop longtemps.
Je n’ai pas beaucoup de personnes vieillissantes qui m’entourent, et la plus présente dans ma vie est totalement à l’opposée. Elle est l’image même de cette autre vieillesse, celle joyeuse, dynamique, impliquée, active et en santé. Celle où les journées sont remplies d’activités et où tous les rêves sont possibles.
La semaine dernière, j’ai pourtant ressenti le besoin d’aller rendre visite à mon grand-père. Car le temps passe trop vite et que je ne voulais plus attendre qu’il soit trop tard. Je voulais éviter d’avoir des regrets.
La condition de mon grand-père m’a bouleversée, encore, et cette visite a été un vrai choc, une prise de conscience qu’un jour, je vieillirai moi aussi et que ce n’est pas dans cet état que je veux que ça se passe pour moi. Voir mon grand-père, cet homme qui fut jadis plein de vie, se bercer les yeux perdus dans le néant. Le voir essayer, comme seul signe d’autonomie, de porter son verre à sa bouche et y prendre quelques gorgées fut la confrontation qu’au fond, je n’ai aucune arme contre l’Alzheimer et que, si elle décide de se pointer, je ne pourrai rien y changer.
Je crois qu’en refusant d’aller le voir avant, je désirais conserver bien au chaud ce souvenir si doux de mon grand-père, capté dans mes yeux d’enfant et qui a survécu en grandissant. Ce souvenir qui me ramène à cette époque où il représentait pour moi l’image parfaite d’un homme grand, fort et intouchable. Pourtant, assis dans sa chaise roulante, mon grand-père a pris ma main en refusant de la lâcher, comme il le fait, paraît-il, à chaque personne qui lui rend visite. Il l’a serrée comme un enfant qui a besoin de réconfort. J’ai touché à cette fragilité si difficile à accepter.
J’ai vu dans les yeux de cet homme quelque peu inconnu l’émotion de me revoir, ses yeux brillaient, il me flattait, tout doucement le bras, mais il ne savait pas pourquoi il m’aimait comme ça. Il ne pouvait pas dire qui j’étais, de toute façon il ne parle plus vraiment, mais son cœur, lui, savait. Il lui renvoyait l’émotion vécue par un grand-père qui regarde sa petite-fille et qui s’émerveille!