On n’est jamais à l’abri d’un coup du sort. On imagine à tort que ce genre d’histoire n’arrive qu’aux autres. Pourtant la limite entre être OK et avoir besoin d’aide est parfois bien fragile.
On a beaucoup pour être heureux, mon conjoint et moi. Notre famille est débordante de santé. On a une jolie petite maison qu’on arrange peu à peu à notre goût. Deux bons emplois qui nous amènent la sécurité financière. Sans rouler sur l’or, on a largement les moyens de se payer de petits plaisirs et on a même fait quelques voyages durant les dernières années.
Il a suffi d’un imprévu pour que tout bascule. Une blessure qui a changé pratiquement toute la donne. Une blessure physique peut hypothéquer bien plus la santé. J’avais lu quelque part que bien des gens sont à deux paies de la pauvreté. Naïvement, je croyais que cette constatation nous concernait peu. Je me suis toujours trouvée raisonnable et prévoyante, un peu comme la sage fourmi de la fable. On avait des assurances, des économies, du lousse sur notre crédit, de la nourriture en avance dans le congélateur et le garde-manger.
Puis, il y a eu ce bête accident de mon conjoint. Je dis bête parce que ce genre d’événement est toujours un peu idiot. Cet accident a accaparé ses forces, sa capacité physique et son moral. Toute son énergie était concentrée à la réalisation de ses tâches (allégées) au travail. Peu à peu, on l’a perdu. On a passé l’été le plus moche qui soit, incapable de faire des activités familiales même minimes. J’ai petit à petit pris le rôle du deuxième parent. J’ai aussi pris sur mon dos une partie de ses responsabilités. J’ai entretenu toute la maison, intérieure et extérieure.
Comme le dossier médical n’avançait pas, on s’est tourné vers le privé, avec le coût que ça implique. Résonnance magnétique, avis d’un médecin spécialiste, tout pour faire accélérer l’opération qui allait réparer mon conjoint. Avec cette opération, j’imaginais le retour à la normale pour toute ma famille. Bien sûr, j’étais consciente de la convalescente et de la physiothérapie qui suivraient. Mais je voyais tous nos problèmes réglés – ou en voie de l’être – dès la sortie de l’hôpital. Ce qui ne fut pas tout à fait le cas.
Mon conjoint a eu le malheur de tomber entre deux chaises gouvernementales, en plus d’avoir un dossier un peu particulier à régler. Je vous épargne les détails techniques, mais suite à son opération, il a été plus de deux mois sans une seule entrée d’argent. Maintenant que je supportais quasi seule la charge ménagère de la maison, je me retrouvais en plus avec celle financière. On s’est aperçu que les économies et le crédit, ça fond comme la neige au soleil de printemps : en un rien de temps. Et on ne faisait même pas de folies! Mais avec les Fêtes et toutes les dépenses qu’on supporte à deux habituellement, faire un budget et le respecter est devenu une nécessité absolue.
Quand mon conjoint appelait pour faire bouger les choses, c’est toujours les mêmes réponses banales données sur un ton de machine préprogrammée. Tout le monde nous assurait faire de leur mieux, mais les jours passaient et le casse-tête s’agrandissait.
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On a passé quelques soirées houleuses et déprimantes à tenter de joindre les deux bouts. Et la nuit, je me réveillais pour compter. Par trois fois, j’ai repoussé la date butoir, celle qui fixait la limite de ce qu’on pouvait supporter. Mais notre fierté nous interdisait à demander de l’aide à nos familles. Après tout, tout le monde est un peu dans le même bateau, non?
Puis, un samedi, j’ai réalisé que nous n’avions plus que 40$ pour faire l’épicerie. Même avec des trésors d’imagination, c’est bien peu pour nourrir tout le monde. Ce matin-là, j’ai avalé mes larmes de dépit pour le déjeuner et j’ai accroché à mon visage mon plus beau sourire. Tout le long du chemin jusqu’au supermarché, je me disais que bien des gens vivent des choses pires. Que mon conjoint prenait du mieux, que bientôt tout serait derrière nous.
Heureusement pour nous, le dossier a débloqué le mardi suivant. Quelques jours seulement avant le retour au travail de mon conjoint. Tranquillement, on rebâtit nos économies. La vie reprend son cours. Mais je sais maintenant que tout est fragile, illusoire. Il faut savoir apprécier la chance qu’on a.