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La maudite ligne droite
Crédit: ssakarya/Shutterstock

La maudite ligne droite. Celle toute tracée d’avance. Celle qu’on reproche à ma génération de ne pas aimer. Vous savez de quoi je parle. Jouer 4 ou 5 ans, étudier, se trouver une job stable, se caser, devenir propriétaire, faire des p’tits, prendre sa retraite à bout de souffle, en profiter un peu, mourir. Agrémenter le tout de quelques trips en camping, de loisirs divers, surtout pour les p’tits, et de soupers entre amis à se parler de nos vies respectives.

Adolescente, ça m’a rapidement donné envie de vomir. J’entendais mon père chuchoter la nuit qu’il rêvait de mieux que cette entreprise pour laquelle il travaillait depuis 30 ans tout en la défendant à ceux qui osaient la critiquer. Les comptes à payer et les multiples bouches à nourrir l’empêchaient de faire le saut. Je voyais ma mère se trouver chanceuse d’avoir une bonne job dans une banque malgré ses études limitées tout en gérant les tâches ménagères et en faisant le taxi pour cette autre pratique de hockey qui venait de s’ajouter à son horaire de fou. Je ne voulais pas de cette vie. Je ne voulais pas de cette relation d’amour-haine envers un travail qui nous empêche de décrocher pleinement quand on est en vacances. Est-ce que l’argent nous oblige vraiment à vivre comme ça? Ça me semblait tellement insipide.

Sauf que, si on veut être indépendant, il faut inévitablement travailler un peu. Et si on veut choisir ce qu’on veut faire, des études, ça aide. C’est ce que j’ai fait. Pour retarder un peu mon entrée permanente sur le marché du travail, j’ai entamé des études universitaires dans un domaine pas trop défini, mais tellement intéressant. À quelques exceptions près, je n’avais pas l’impression d’étudier. Je travaillais pour payer mes mille et une activités et les voyages que je faisais l’été. Ça me semblait être l’équilibre parfait. 

Après avoir fait un bref saut au deuxième cycle, mes idéaux ont commencé à prendre un peu le bord. J’ai réalisé que j’étais en train de m’arranger pour ne pas en sortir, de l’université. Pour la première fois, j’ai quitté ce que j’avais entamé pour entreprendre quelque chose d’un peu plus pratique et décrocher un titre. Là, j’avais l’impression d’étudier. Ça n’a pas été facile. J’ai pensé quitter mille fois. La peur de me retrouver devant rien me poussait à continuer.

Pour les autres, ce que je faisais, où je travaillais, c’était prestigieux. On me croyait capable de grandes choses. Y’a quelque chose d’agréable et de malsain dans tout ça. Un sentiment d’inconfort s’installait petit à petit en moi. Je continuais malgré tout, faute de mieux. Qu’est-ce que les gens penseraient de moi si je quittais une carrière prometteuse? Et je quitterais pour quoi d’autre exactement?

Puis, je me suis trouvé un autre travail dans un organisme de proximité avec une équipe jeune et formidable en prime. Là, ça allait un peu mieux. Au moins, j’aidais les gens. Je me sentais utile. En parallèle à mes études, j’ai trouvé mon meilleur ami et mon amoureux en une seule personne. On a grandi ensemble. On a créé un monde à nous où mon sentiment d’inconfort disparaissait presque complètement. Ça change votre perception de la ligne droite en amour, ça. Après six ans de folies ensemble, on s’est mariés. Après 10 ans, on a fait une p’tite. Ça aussi, ça change votre perception de la ligne droite. Je ne détestais pas la petite routine qui commençait à s’installer. Je la trouvais même réconfortante.

Pourtant, l’inconfort a recommencé à grandir en moi. Concilier famille et travail, je n’y arrivais pas. Faut dire que, même si celui qui partage ma vie est un papa impliqué et aimant, il mène aussi la vie d’un professionnel d’une grande tour à bureaux du centre-ville plus qu’à temps plein. Mais il y avait plus que ça. C’était moi le problème. Je perdais peu à peu mon équilibre dans cette course effrénée du quotidien. Je sentais que j’y avais perdu ma place. Mon travail devenait un rappel quotidien de mon impuissance. Je n’étais plus capable de gérer les problèmes des autres alors que j’avais moi-même besoin d’aide. Ça commençait à affecter ma relation avec la p’tite. Je ne savais plus comment être entièrement là pendant les brefs moments où j’étais avec elle. Et c’est la dernière chose qu’un parent souhaite.

Après plusieurs semaines à me sentir pognée par en dedans, j’ai quitté ma job. J’ai pesé pause sur ma vie professionnelle. J’avais l’impression de me jeter dans le vide. En 2017, une femme, ça travaille. Surtout après avoir tant étudié. Ça ne s’accomplit pas à la maison. Le poids des mots. En l’annonçant aux autres, j’ai réalisé que j’étais celle qui avait le plus de préjugés envers mon choix. Aujourd’hui, maintenant que je me réveille heureuse, je l’ai accepté. J’essaie de vivre ma vie pour ma famille et moi, pas pour ce que les autres pourraient en penser. C’est difficile parfois.
Aujourd’hui, je suis avocate et maman. À la maison. C’est peut-être ça, le crochet dont j’avais besoin sur ma ligne droite.

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