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Ma fille m’a dit : « T’es pas belle, Maman. »
Crédit: Julie Marchiori

J’ai mis des années à me convaincre qu’on a tous notre beauté, que rien ne naît d’heures passées devant le miroir à s’insulter sinon une estime de soi amochée. Que ce soit clair, je ne suis pas celle qui a le plus confiance en moi. Ce n’est pas une question d’opinion, c’est pathologique. Je souffre, entre autres, de dysmorphophobie depuis longtemps déjà.  Ça n’allait pas aider mon cas.

Je savais qu’elle me le dirait, un jour ou l’autre.  Que ces mots nuages-gris obscurciraient sa voix, en coup de tête, en coup de vent. Des chances d’orages. Momentanément. Après tout, je les ai peut-être aussi dits à ma maman. Ces mots-tempêtes, ces mots-ouragans.

Ben, enfin, il me semble. Sur le coup de la colère et de l’emportement, mes jeunes émotions frissonnantes et mal contenues ont saisi au vol le plus blessant, le plus coupant, ça s’est métamorphosé en vengeance, en argument.

Et maintenant, par un matin d’avril aussi gris qu’un film muet, le silence prend fin, le silence se casse. Par mégarde, elle découvre la méchanceté en fracassant les artifices qui camouflaient ma fragilité. Ma fille vient de trouver ma kryptonite à moi.

« T’es pas belle, Maman. »

Mon estime de moi, meurtrie et patchée au fil des années, chancelle. Entendre ces mots de sa bouche, alors que j’y entends habituellement des rires, des pleurs et des comptines, c’est y voir du laid pour la première fois. Pas du capricieux, du vrai laid.

Et je sais qu’elle ne veut pas vraiment dire cela. Qu’en dessous, y’a juste du « j’suis pas contente pantoute, Maman », mais sur le coup, j’ai les bras sciés, le moral à -50, l’âme en berne. Et elle le voit très bien, je ne suis pas arrivée à lui cacher, à lui faire croire que sa petite salve de « pas belle » n’a pas atteint mon abri antimissile personnel.

Moi, pourtant si forte pour tenir tête à l’épicerie devant le rack à bonbons, moi qui sais feindre l’indifférence dans les joutes de négociations d’iPad. Ces mots sont un souffle sur la braise. Ça vacille. Ça craque. Et ça casse. La diversité corporelle, j’y crois plus que tout, pourquoi est-ce que c’est si difficile de m’en convaincre lorsque ça s’adresse à moi?

Dans les bourrasques de ses paroles, je me fais la promesse suivante : ma fille n’en arrivera jamais là. Évidemment, je dois d’abord lui enseigner ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Mais je dois aussi lui enseigner que ces images, dont elle est bombardée, ne représentent pas la réalité. Qu’on lui ment sur tous ces écrans qui placarderont sa vie. Que la beauté est fluide et diversifiée, subjective et variée. Que le courage, la force, la ruse et l’intellect en font aussi partie.

La beauté n’est ni statique, ni symétrique, ni le reflet d’un corps ou d’un visage. Elle n’est ni essentielle ni importante. La beauté n’est surtout pas une arme à brandir pour démolir, miner, amoindrir ou exclure. 

Au fond, je lui souhaite de s’en crisser royalement et d’avoir assez confiance en elle pour en trouver là où c’est insoupçonné.

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