Je sais de quelle couleur sont ses yeux même si je ne l’ai croisée qu’une fois. Je sais de quelle façon elle aime se coiffer. Je connais l’emplacement et la nature de ses tatouages. Il nous arrive, ses enfants et moi, de jouer à en incarner un; on vole au-dessus d’un lac et on fait miroiter nos ailes sous les rayons du soleil couchant.
Je connais sa date de fête et son âge. Ses filles et moi avons prévu une petite surprise. Nous penserons très certainement à elle le jour de son anniversaire. Je leur rappellerai d’appeler leur maman, si elles n’y pensent pas d’elles-mêmes, parce que je sais que le plus beau cadeau de fête pour une mère est d’entendre les rires de ses enfants.
Je connais ses projets de rénovation et la décoration actuelle de sa maison. Je sais quelles sont ses plantes préférées. Je sais tout cela parce que ses enfants me l’ont dit. Ils m’ont raconté ces détails de la personnalité de leur mère les yeux pétillants, les bras grands ouverts et le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Je connais son ancienne histoire d’amour. Je regarde des photos d’elle qui enlace mon amoureux, assise avec sa grande, pour apaiser son ennui. Je vois les épaules de mon chum encadrer les siennes. Je remarque ses yeux dans les siens. J’arrive à ressentir à quel point mon homme a aimé cette femme. Je suis témoin de cet amour duquel sont nés de merveilleux enfants. Les jours où ils sont en colère l’un contre l’autre, je suis amère de voir mon chum ravagé de frustration et d’inquiétude envers sa fratrie.
Le soir, quand je m’endors, c’est d’elle que je rêve parfois. Le matin quand je me réveille, j’ai mal à l’amour. Ce n’est pas facile pour moi non plus, cette adaptation délicate. Je n’ai pas plus envie qu’elle soit toujours là, à planer au-dessus de ma tête. Ma nature inquiète est mise à mal et j’en souffre. Je promets que je ne tenterai pas pour autant d’éteindre la lumière qui émane de ses enfants quand ils me parlent de leur maman.
Je comprends que partager ses bébés avec une autre soit une étape extrêmement difficile. Je n’ai pas choisi de m’ingérer dans sa vie, mais lui, j’ai envie de le choisir. Je ne suis pas là pour la remplacer, je suis juste là. J’ai moi-même énormément souffert de ma propre séparation. Maintenant que j’ai retrouvé un peu de sérénité, je souhaite seulement qu’on me laisse exister.
Elle a un joli lilas dans sa cour arrière. J’en ai un aussi. Quand j’étais enfant, j’en coupais les branches pour les offrir en bouquet à ma mère. Elle le plaçait au centre de la table, ça annonçait le beau temps. Peut-être ses enfants feront-ils pareil afin que sa hargne prenne des airs de doux printemps.