Je m’occupe de votre mère, votre grand-mère, votre frère ou votre fils, ou de ceux qu’ils pourraient devenir; des personnes âgées en perte d’autonomie. Je m’en occupe du mieux que je peux, je fais mon travail d’infirmière; j’ai été formée pour ça, pas vrai? Pourtant, ce n’est pas le travail que j’ai choisi ni celui pour lequel j’ai été formé.
On m’a imposé de cesser mon travail auprès des nouveau-nés pour tenir la main de votre grand-mère en fin de vie. On m’a délogé de ma quiétude habituelle pour aller vivre dans le bourdonnement de la zone COVID où se trouve votre grand-père qui lutte pour sa survie. Je leur caresse les cheveux, je leur donne leurs médicaments, je les hydrate, je leur parle puisqu’ils ne peuvent pas vous parler, je les rassure je les accompagne dans leur dernier souffle.
J’ai vu la souffrance dans leurs yeux, j’ai vu la lueur d’espoir dans leur regard, je les ai vus renaître, je les ai vus mourir, sans broncher, en pleurant silencieusement à leur chevet. Imaginez mourir auprès d’une inconnue, vêtue de la tête aux pieds comme une extra-terrestre, sans pouvoir voir son sourire, sans sentir la chaleur de sa poignée de main. Quelle tragédie!
Et tranquillement, j’ai apporté leur détresse chez moi, elle est devenue ma détresse. Cette détresse qui me gruge, cette noirceur qui m’envahit, la colère, l’impuissance. Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ce traitement? Qui suis-je pour avoir accueilli autant de souffrance sans broncher? Et on me demande d’en redonner sans broncher. Je ne dors plus, je revois votre conjoint s’envoler doucement, quittant sa souffrance. Je revois votre mère chercher pour son dernier souffle. Je revois tous ces patients laissés à eux même. Et on me demande de retourner à leur chevet pour en accompagner encore combien dans la mort? Moi qui ai toujours accompagné dans la vie. Je n’ai pas la force de revivre cette expérience.
Je suis là pour eux, soyez là pour nous. La détresse des travailleurs de la santé est réelle, les équipes sont épuisées et à bout de bras. Entendez notre appel à l’aide!