Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand « concilier travail et famille » a subitement pris le sens de « télétravailler tout en assurant le bien-être d’enfants qui ne peuvent quitter la maison », j’ai eu un choc. Je ne voyais pas comment j’arriverais à accomplir mon travail tout en supervisant, nourrissant et amusant Coco et Bout d’Chou. Je me suis lancée sur le net, à la recherche d’astuces. Et j’ai eu un second choc.
Des articles sur « quoi faire pendant le confinement », j’en ai trouvé une foule. Une foule de listes de bricolages, recettes et expériences scientifiques pour les enfants — avec la supervision des parents. Une foule de moyens de poursuivre l’apprentissage des enfants d’âge scolaire et d’assurer le maintien de leurs acquis — avec la participation des parents. Une foule d’idées pour que les enfants bougent et jouent dehors — avec leurs parents.
Nulle part on ne me disait comment travailler avec mes enfants dans la maison. Nulle part on ne me suggérait des activités que les enfants pouvaient faire en autonomie. Nulle part on ne me parlait de lâcher prise, de faire mon possible, de ne pas me sentir coupable. Nulle part on n’abordait ma situation à moi. J’étais invisible : ma réalité n’existait pas.
Ça, c’était la première semaine du confinement. Depuis, j’ai modifié mon horaire et je ne travaille plus que des demi-journées. Parce que je suis privilégiée et que j’ai droit à des congés payés pour le faire.
Je suis privilégiée et pourtant je rush. Je passe mes avant-midi avec les enfants : je propose d’innombrables activités, je gère les écrans, je sers huit collations, j’impose des jeux à l’extérieur, je négocie avec les enfants qui ne veulent pas aller dehors, puis avec les enfants qui ne veulent plus rentrer, j’interviens en cas de chicanes ou de bobos et j’écoute l’éternel chialage. Ensuite, je m’installe à mon poste de travail et, comme le contexte actuel a une influence directe sur mes tâches, je gère urgence par-dessus urgence sans jamais savoir avec certitude à quelle heure je vais terminer ma journée ou si on fera appel à moi pendant la soirée. Ensuite, c’est le sprint du souper-bain-dodo. Puis, il est 20 heures, je suis claquée, et je recommence le lendemain.
Je me demande alors : qu’en est-il de ces parents qui n’ont pas ma chance? Ce sont eux qui ne l’ont pas facile actuellement, et j’ai l’impression qu’ils doivent former la majorité. Pourtant, on ne parle pas d’eux, pas plus maintenant qu’il y a un mois, quand je cherchais des trucs sur le net.
Ces parents qui n’ont d’autre choix que de travailler à temps plein tout en s’occupant de leurs enfants à la maison, et de qui tous, enfants et employeur, attendent le rendement habituel. Qui trouvent des solutions imparfaites, mais qui font la job, comme travailler tôt le matin et tard le soir, et qui reçoivent comme une claque au visage les activités facultatives « mais fortement recommandées » (dixit, en gras et en souligné, la lettre envoyée par le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur) du ministère de l’Éducation — différentes pour chacun des enfants, évidemment — qui viennent bouleverser leur fragile non-équilibre familial. Ces parents qui doivent gérer leurs émotions devant l’incertitude, mais aussi celles de leurs enfants, qui s’ennuient, qui posent des questions, qui ont peur. Ces parents qui doivent composer avec la culpabilité de tout faire à moitié. La culpabilité, cette constante de la parentalité.
Si, en même temps, on travaille et on s’occupe de ses enfants, c’est impossible de faire les deux à 100 %. Il est temps qu’on le dise. Je ne sais pas pourquoi on privilégie plutôt l’image du parent qui enseigne, avec le sourire, les fractions et l’accord du participe passé à ses enfants au-dessus d’un repas de sushis maison préparé par toute la famille, au terme d’une journée de travail complète au cours de laquelle il a atteint sa pleine productivité. Mais c’est tout simplement impossible. Sous-entendre le contraire, c’est insensible et malhonnête.
Bref, ces parents-là, qui ne l’ont pas facile en ce moment, je n’en fais pas — plus — partie. Mais je les vois. Je vous vois. Vous êtes là, vous existez, et il est temps qu’on parle de vous. Vous rushez sans bon sens actuellement — et moi, je vous lève mon chapeau. Vous faites votre possible, et c’est suffisant. N’en doutez jamais.