L’abstinence m’affecte.
Au sens large. Au sens propre. Au sens que vous lui convenez.
L’abstinence en café me fait délirer. Une vraie écervelée, emmêlée dans ses mots, dans ses pattes, désorganisée et sensiblement apparentée à Hulk, côté teint et tempérament.
L’abstinence en sommeil, quotidiennement cumulée, me troue la pensée, me lessive le ciboulot, me prive de ma fonctionnalité et m’handicape journée après journée. Je déraille et défaille. Je promets au rythme de mes oublis et je change d’idée possiblement plus souvent que de couches à mon bébé. Je converse sans enregistrer, trop distraite pour absorber le contenu de vos pensées.
Abstenue de repos, mes neurones carencées s’interdisent d’évoluer. Je suis en perdition, côté matière grise, et flotte comme un éternel lendemain de veille, à tenter de me dégriser. Je suis en évidente régression, côté intellect. À défaut de perdre mon latin, vestige d’une scolarité égarée, j’en perds mon alphabet. Fixation sur le Zzzz à force de privation; je soupire à grands coups de « aaaaah », la seule lettre dont j’abuse, excepté dans la chambre à coucher.
L’abstinence sexuelle, conditionnée par les abstinences sus-citées, me rappelle que mon mari déborde de patience.
L’absence de patience se manifeste sur mes cordes vocales, dont les notes émises frisaient jadis le son d’un murmure. J’hausse désormais le ton, face aux enfants exigeants, puis me flagelle en boucle continue, le soir venu. Dans mon lit, exténuée, je me rejoue la cassette de mes cris inutiles; conséquence d’un manque perpétuel, réflexe d’une survivante. #momlife , comme on dit!
L’abstinence en temps et en sa notion obsède mon esprit, rend l’horloge menaçante et pourtant criante de vie. Je me suis départie de ma montre, question d’accentuer la négation des secondes qui filent et se faufilent sans crier gare, question de jouir de sa volatilité sans chiffres associés.
L’abstinence façonne mon quotidien.
Je me meurs de soif, de faim, de fatigue, de caresses et de temps pour moi. Et pourtant, je ne me suis jamais sentie autant en vie, autant assouvie.
Mes muscles me rappellent que j’existe, parce qu’endoloris par le port de mes mignons endormis.
Mon nez respire plus que jamais, s’oxygène à jouer dehors, s’enivre du doux parfum de la peau de mes bébés.
Mon cœur pompe et s’active au son des rires et pleurs de mes enfants, et je l’entends.
Mes yeux s’extasient devant un « ciel de princesse », comme dit fiston, et j’apprends à me délester de ces obligations ménagères qui s’accumulent, de toute manière.
Je suis repue d’amour, comblée de tendresse, couverte de fierté, remplie d’infinies possibilités.
La vie goûte bon, et je ne m’abstiens pas de la savourer.