Mon histoire d’allaitement n’en est pas vraiment une.
Je m’étais préparée: j’avais lu sur l’allaitement, je connaissais les problèmes qui pouvaient survenir et les traitements possibles. J’avais pris une marraine d’allaitement. J’avais mon tire-lait, mes compresses, ma lanoline. J’étais prête à relever le défi. Et puis…. rien. Il n’y a pas eu de défi : mes enfants sont nés, je leur ai plogué la bouche à un sein et paf! On est partis pour treize mois. Fin.
Il y a eu Coco d’abord, puis Bout d’Chou, et dans les deux cas, l’allaitement s’est déroulé rigoureusement de la même façon. Leur prise a été parfaite dès le départ. Je n’ai pas eu de douleur ou d’inconfort, de gerçure, encore moins une mastite ou du muguet. Ma production s’est adaptée. Coco et Bout d’Chou ont pris le poids voulu. Ils ne m’ont pas mordue quand ils ont eu leurs premières dents. Ils ont pris le biberon sans rechigner quand j’étais absente. Puis, quand j’ai décidé d’arrêter, l’allaitement s’est terminé comme il avait débuté : sans histoire. Rien à raconter.
Les premiers mois, on me demandait si j’allaitais : je répondais oui. Au fil des mois, la question s’est transformée. On me demandait plutôt : « Allaites-tu encore? » Et ma réponse, la même qu’avant pourtant, s’est mise à susciter des exclamations : « Ah oui? Bravo! »
« Bravo »? Mais pourquoi? J’étais mal à l’aise. Je ne faisais rien de bien extraordinaire. Je ne voyais pas en quoi j’avais du mérite de poursuivre l’allaitement alors que ça ne me demandait aucun effort. Il ne faut pas un sacrifice quelconque pour mériter des félicitations? Est-ce que l’allaitement était obligatoirement souffrant? Est-ce que j’avais le droit que ce soit facile pour moi? Est-ce qu’il fallait que je le cache? Est-ce que j’étais une imposteure?
Je pensais à mes amies dont l’allaitement avait été compliqué par des hospitalisations, des mastites à répétition ou des poussées dentaires précoces. Certaines avaient malgré tout poursuivi : ce n’était pas plutôt à elles qu’il fallait adresser des félicitations? Et les autres que les obstacles avaient poussées à abandonner, après une semaine, un mois, six mois, ne fallait-il pas les féliciter de leurs efforts?
Et celles qui allaitent pendant quelques mois avant d’arrêter pour une raison ou pour une autre, on ne les félicite pas non plus? À partir de quand les félicitations sont-elles de mise? Qui a fixé la valeur x qui commande l’admiration au détriment de x-1 qui ne relève que de la banalité?
Mes interlocuteurs étaient si sincères que j’ai fini par m’accorder le droit d’accepter leurs félicitations, même si je précisais chaque fois : « Merci, mais en réalité ça se passe tellement bien que je n’ai pas de raison d’arrêter. » J’ai eu de la chance, et je le sais. Mon histoire d’allaitement facile, je ne l’étale pas partout, pour cette raison. Mais c’est la mienne. Elle existe. Et si elle peut encourager les futures mamans qui s’inquiètent, leur faire savoir qu’un allaitement qui roule tout seul, ça se peut, ben tant mieux.
De la chance, oui. Mais du mérite? Non, encore aujourd’hui, je ne crois pas.