Mon bilan des 15 derniers mois n’est malheureusement pas joyeux. J’ai accumulé des déceptions, des deuils et des peines sans fin. À tel point que je me suis noyée dans un océan noir.
Il y a eu une surcharge de tâches et une atmosphère différente au travail avec lesquelles je n’ai pas su m’adapter et être heureuse. Il y a eu le décès subit de mon beau-père et l’accompagnement de mon conjoint dans son deuil. Il y a eu sa blessure, son opération, sa convalescence. Il y a eu les crises d’anxiété de ma fille, sa mésentente avec une amie qui a donné lieu à de l’intimidation. Et tout plein de revirements et d’histoires qui m’apportaient leur lot de complications.
Et enfin, ce qui a tout fait basculer, ma grossesse ectopique et mon avortement forcé alors que cet enfant était la chose que je désirais le plus au monde. Après cette journée, quelque chose s’est brisé au fond de moi. Je ne voyais plus le soleil, je ne croyais plus au bonheur. C’est comme si j’avais arrêté de respirer ou que je m’empoisonnais.
De nature joyeuse et optimiste, je suis devenue amère et pessimiste. Chaque jour se déroulait comme dans un épais brouillard dans lequel je ne trouvais que peu de chaleur. Chaque petite contrariété me semblait une montagne que je franchisse les dents serrées de colère ou en larmes.
Je me suis mise à détester des gens. Je me suis mise à jalouser. Je me suis mise à punir mon enfant comme si tout était de sa faute. Je me suis éloignée de ma famille et mon conjoint. J’ai trop mangé, puis j’ai arrêté. J’ai fait de l’insomnie. Et au final, je me suis détestée. La vision que j’avais de moi me dégoûtait. Et plus la haine était là, plus loin je m’enfonçais.
Au plus sombre de la tempête, j’ai finalement reconnu que j’avais besoin d’aide. J’ai pris les outils offerts pour me reconstruire, même si je n’y croyais pas toujours. Mais pour ma fille – et pour moi – j’ai fait l’effort. Le petit pas de la journée était parfois inutile quand le lendemain j’en reculais de deux. Mais j’ai toujours été persévérante… et un peu têtue.
J’ai pris du recul face à ce qui se passait dans ma tête et surtout dans mon cœur. J’ai beaucoup réfléchi sur ma vie, ce que j’attends d’elle. J’ai analysé ma relation avec les autres, les espérances que j’ai envers eux. Et j’ai médité sur les erreurs que j’ai faites et sur les injustices que j’ai vécues. J’ai été entouré de personne qui m’ont aidée, d’autres en qui j’avais confiance m’ont laissé tomber.
Et ce matin, en plein cœur des blues de l’hiver, j’ai été frappé par cette évidence : je vais mieux. Je n’ai eu aucune réaction, alors que depuis des mois je rouspète quand la cafetière est vide. Comme si cet irritant qui pouvait gâcher le start de ma journée n’avait jamais existé. Je me suis surprise à remplir la carafe, comme si cela ne me coûtait rien. Comme je l’avais toujours fait avant.
Tout doucement, sans m’en rendre compte, je redeviens un peu celle que j’étais. En repassant les derniers jours, j’ai constaté avoir beaucoup plus ri que pleuré, avoir embrassé ma fille non pas comme une obligation, mais avec une bouffée d’affection sincère. J’ai chanté en travaillant alors que je ne le faisais plus. J’ai changé mon regard et le monde a changé.
Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Petit à petit, je me tricote un bonheur avec les mailles que j’avais perdues. C’est maintenant que je prends l’ampleur de ce que j’ai traversé, et je me sens forte et fragile tout à la fois. Je n’ai pas la prétention de croire que tout ira pour le mieux désormais. Que tout cela est derrière moi et que les heures obscures ne reviendront jamais me tourmenter.
Seulement, je suis contente de me retrouver.