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Les filtres-photo, dangereux pour l’estime de soi?
Crédit: Pricilla Du Preez/Unsplash

Un matin tranquille de nos vacances, j’étais confortablement installée sur mon divan et je parcourais mes réseaux sociaux. Ma fille vient se coller à moi, elle est toute mignonne dans son nouveau pyjama un brin trop grand. Je lui demande si elle veut qu’on prenne une photo de nous.
 
Sans m’en apercevoir, cette situation banale m’a apporté un malaise et une réflexion qui ne me quittent plus depuis quelques jours. Pourtant, des égoportraits de nous deux, j’en ai fait plusieurs ces onze dernières années. En jeune fille de son temps, mon enfant sait très bien comment ça marche.
 
La photo était réussie. Le portrait d’une jeune mère et sa fille, naturelles et sans artifice. J’aimais bien cette photo, l’éclairage était parfait et nos sourires sincères. Alors que je la sauvegardais, ma fille me dit : « Tu ne veux pas qu’on la reprenne ? ». Et aussitôt, elle se met à explorer les différentes options possibles, remplies d’oreilles d’animaux, de brillants et de fleurs.
 
Et là, ça m’a sauté aux yeux comme une évidence. Pour la première fois, j’ai eu peur du mal que cette fonction pourrait faire à ma fille. Pourrait faire à quiconque d’ailleurs.
 
Ma fille est bien familière avec ces filtres. On a quelques photos d’elle ou de nous portant un drôle de chapeau, de grosses lunettes, transformées en licorne ou en petits chats. Ces photos-là étaient prises pour le plaisir et partagées à quelques élus seulement. Pour moi, c’était seulement un petit moment cocasse avec mon enfant.
 
Mais, il m’est apparu que malgré le caractère innocent de la chose, nous sommes tombées dans le piège. Le piège qui nous fait regretter notre visage sans l’application de ces filtres. On y est littéralement transformés, avec de grands yeux pétillants, un teint impeccable, un cou et un nez amincis. N’importe qui semble plus jeune et d’une beauté rayonnante. Mais cette apparence n’est ni naturelle ni authentique.
 
Moi la première, j’ai apprécié le résultat de quelques clichés en voyant ma peau lisse sans cette acné qui ne m’a jamais tout à fait lâchée depuis mes 14 ans. Sans mes petites pattes d’oie qui se dessinent tranquillement autour des yeux. Avec mon sourire éclatant digne d’une pub de dentiste. Je me suis mise à examiner chacune des photos que j’ai prises de moi avec ces filtres. Avec un œil différent, j’ai constaté que ce n’était pas tout à fait moi sur ces images. On aurait dit une étrangère qui aurait vaguement eu mes traits, loin de celle que je suis réellement.
 
 Ce qui m’effraie, c’est que ma fille semble avoir pris pour réflexe de se photographier ainsi, de ne plus vouloir prendre un portrait d’elle sans en modifier la réalité. Ce qui malheureusement paraît être devenu un standard de normalité si j’en juge les nombreuses photos qui ornent les réseaux sociaux.  
 
Elle n’a que 11 ans. Elle a un teint de pêche, des yeux pétillants de jeunesse et encore de doux traits d’enfance. Si elle préfère déjà se contempler avec un boost esthétique, qu’est-ce que ce sera lorsque sa peau sera plus grasse ou ridée? Lorsque ses yeux seront cernés des courtes nuits que la vie amène parfois. Lorsque le stress et le temps auront peu à peu marqué son visage. Lorsque ses cheveux auront perdu de leur éclat. Refusera-t-elle de s’aimer ainsi, avec son vrai visage? Lorsqu’elle aura ses propres comptes sur les réseaux sociaux, utilisera-t-elle ce genre de photo pour s’exposer au monde entier? Croira-t-elle que la beauté se limite à cette version remasterisée d’elle-même? De tout cœur, j’espère que non. Autant pour ma fille que pour toute jeune personne de ce monde.
 
De plus en plus, on cherche à promouvoir la diversité, l’acceptation de soi, la beauté intérieure. À briser les stéréotypes et à apprendre à s’aimer comme on est. Paradoxalement, on met entre les mains des adolescent.e.s une fonction facile et rapide pour modifier leur apparence et les faire ressembler à ces stéréotypes qu’on cherche tant à démolir.  C’est un peu comme faire un pas vers l’avant pour en faire immédiatement deux à reculons.
 
Je suis consciente que je ne peux pas la couper drastiquement de cette réalité. Les filtres sont là, elle continuera de les utiliser. Je veux juste qu’elle le fasse à bon escient. Qu’elle n’ait pas besoin de cette béquille pour se sentir jolie et acceptée. Qu’elle comprenne que la beauté va bien au-delà d’un visage ultra-maquillé avec des yeux dignes de la poupée Barbie et de petits cœurs qui volent tout autour.

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