Coco flâne dans notre lit, Bout d’Chou dort et moi je suis dans la salle de bain, à mettre mes verres de contact comme si je croyais aux miracles. Le droit est déjà inséré, j’ai le gauche sur l’index. C’est là que Coco me lance : « Maman, je suis prêt à me lever! Je veux choisir mes vêtements avec toi! » Vite, j’insère mon verre de contact gauche… mais argh. Il me fait mal. Sans doute une poussière. Coco s’impatiente, je lui demande de m’accorder trente secondes, vœu pieux qui suscite une intensification instantanée de ses cris. « Mamaaaaan! » Je serre les dents, rince le verre de contact récalcitrant, le réinsère. La douloureuse poussière est encore là, l’œil me coule, je ne vois plus rien, je marmonne des onomatopées de frustration — et je capitule. Le miracle n’aura pas lieu. Je retire les deux verres de contact et file rejoindre ma progéniture en détresse, lunettes sur le nez.
Ma journée est commencée.
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Retour à la salle de bain pendant que Coco s’habille. Je termine l’étape des verres de contact, cette fois, et j’entame celle du brossage de dents. J’ai de la mousse plein la bouche quand Bout d’Chou se lève et vient me rejoindre. Il veut se bercer, souhait matinal quotidien qu’il est vain de tenter d’éliminer, puisque le temps ainsi récupéré sera nécessairement perdu plus tard en refus de collaborations diverses. Je dépose ma brosse à dents : cette tâche-ci devra également attendre. Je m’installe dans la chaise berçante avec Bout d’Chou, un petit goût de menthe pâteuse dans la bouche.
La matinée se poursuit sur le même ton : j’enfile une manche de chandail — une seule — avant que mon aide soit réclamée pour attacher des boutons de chemise. Je cesse de remplir la cafetière pour servir un verre de lait. Je sors de la salle de bain sans avoir accompli ce que j’allais y faire parce qu’un petit être invoque une envie plus pressante que la mienne. J’abandonne mes toasts pas beurrées sur le comptoir pour calmer des âmes agitées qui se disputent le rôle d’Optimus Prime.
Oubliez la mort et les impôts : la grande certitude de ma vie, c’est que sitôt que j’entreprends quelque chose, un cri résonne dans la maison :
« Maman, regarde! »
« Maman, viens jouer avec moi! »
« Maman, peux-tu m’aider? »
« Maman, il m’a tapé! »
« Maman, j’ai faim. »
« Maman, je veux m’asseoir sur toi. »
« Maman! Pou-pou-la-la! » (Eh oui. On ne fait pas toujours dans la pertinence.)
Mon chum est aux prises avec le même problème, pas difficile de le voir. Voir le lavabo rempli d’eau de vaisselle devenue froide. Le déjeuner laissé en plan sur la table de la cuisine lors du départ en catastrophe pour le cours du samedi matin. La tasse de café qui semble dotée d’une vie propre et errer un peu partout dans la maison au fil de la journée : sur l’îlot de cuisine, dans le micro-onde, sur la table du salon…
Je ne sais même plus quand ça a commencé. Après le premier enfant, le deuxième? Sérieusement : quand ai-je pour la dernière fois fait une tâche, du début à la fin, en une seule fois?
Je ne sais pas. Je sais seulement que j’en suis là dans ma vie : à l’ère des tâches inachevées. Des interruptions constantes. Je vis au rythme des demi-phrases, des idées incomplètes et des conversations par bribes qui meurent bien avant d’avoir abouti, entre les dessins nécessitant un émerveillement immédiat et les querelles dégénérant en une fraction de seconde.
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C’est comme ça depuis déjà plusieurs années. Je m’habitue, mais… pas vraiment. Alors je continue d’entamer et d’espérer. Tous les jours. Juste au cas où, cette fois, je me rendrais jusqu’au bout.
Comme si je croyais aux miracles.