Pour moi, l’échographie n’était pas vraiment un rendez-vous médical à proprement parler. C’était plutôt une occasion de rencontre avec le bébé. Un beau moment, dont je sentais que je n’avais pas nécessairement besoin, étant en contact constant avec bébé de l’intérieur, mais que je trouvais important pour le père. Ça rendait tout ça plus réel pour lui, tout à coup, de le « voir ».
C’est donc toute guillerette que je me suis pointée à cette échographie de ma deuxième bébé, le papa à mes côtés, bras dessus, bras dessous, gambadant presque. La technologue est arrivée, a mis la gelée froide, a commencé à nous dévoiler notre bébé. Le moment était magique, l’émerveillement à son comble. Je pensais à ma grand-mère, qui n’en revient pas quand je lui montre mes photos d’échographie: « Nous, fallait attendre qu’il sorte pour qu’on le voie », qu’elle me dit toujours.
« Attendez un instant, je vais chercher le médecin. »
Je n’ai jamais entendu une phrase plus casseuse de party que ça. Ma joie est tombée d’un coup sec, aussitôt remplacée par un mur d’inquiétudes, pendant que la technologue quittait la pièce. Le médecin est entré en silence, m’a à peine saluée, a observé l’image en noir et blanc, a zoomé, a constaté, et s’est finalement tourné vers nous. Il m’a expliqué que « ce point, qu’on voit là, disait-il en me montrant un point noir parmi une constellation d’autres tous semblables, il pourrait indiquer un risque de trisomie 21.»
« Il faudrait faire une amniocentèse », a-t-il continué. « Et le résultat sera un pourcentage de risque.» Pardon? Je risquerais une amniocentèse pour avoir une réponse pas claire?
De retour dans l’auto, la question horrible que nous nous posions était : quel est ton chiffre? À quel pourcentage dit-on « on garde », à quel pourcentage dit-on « avortement »? Cinq sur dix mille, est-ce déjà trop? Et cinq cents? Et mille deux cents?
C’est profondément ancré dans notre personnalité, cette décision : profil aventurier ou conservateur? Et nos croyances : le hasard me favorise-t-il? C’est un gamble avec la vie d’un être humain et la nôtre.
J’ai commencé à en parler autour de moi, et c’était pire. Chacun a son histoire de presque-aucune-chance-de-l’avoir et a eu un bébé lourdement handicapé. Ou l’histoire de était-sûre-d’avoir-la-trisomie-et-le-gardait-pareil et a eu un bébé en pleine santé. C’était de plus en plus mélangeant.
On a décidé de ne pas aller voir, de ne pas faire d’amniocentèse, et de faire comme si on vivait au temps de ma grand-mère.