Dans ma famille, on ne parle pas de nos émotions. Du plus loin que je me souvienne, il n’était pas encouragé de pleurer, d’être en colère et il ne fallait jamais montrer qu’on était déçu. Je ne me souviens pas m’être fait consoler par mes parents ou avoir pleuré dans leurs bras, même très jeune. Ce n’est pas quelque chose qui se faisait chez nous. Avec les années, j’ai enterré beaucoup d’émotions : la colère, la peur, l’incompréhension, la déception, la tristesse, le désarroi.
J’ai passé mon adolescence à ravaler ce que je ressentais, laissant les larmes couler seulement le soir, une fois tout le monde couché. Je pleurais en silence, souvent inconsolable, en serrant un vieux toutou dans mes bras et en essuyant mes larmes sur lui. Le lendemain, rien ne paraissait. Ou si ça se voyait, personne ne posait de questions.
Peu à peu, j’ai perdu la capacité de nommer les émotions que je ressentais. Dès qu’il s’agissait d’une émotion négative, je disais que je me sentais en tab***ak, incapable d’exprimer plus clairement ce qui se passait à l’intérieur. Je ne pleurais jamais en public et j’attendais que mon chum dorme pour me laisser aller. Éventuellement, à force de ravaler, une boule s’est formée dans ma poitrine et elle a fini par ne plus me quitter.
Je ne me souviens pas de ce qui m’a poussée à aller consulter un psychologue. Je crois qu’il s’agissait d’une série de problèmes de surface que je n’arrivais plus à gérer. Au premier rendez-vous, on m’a fait remplir un questionnaire. À la question : « quels sont les 5 sujets dont vous voulez discuter, mes réponses m’ont moi-même surprise. Ces grandes douleurs que je gardais cachées profondément en moi sont sorties sur papier. C’était toute une contradiction avec ce que j’avais dit à la psychologue au préalable.
Au fil des rencontres, on a travaillé à me faire nommer les émotions que je ressentais. Je savais dire si je me sentais bien ou mal, c’est à peu près tout. On m’a remis une liste d’émotions et demandé de m’y référer chaque fois que je vivais quelque chose de négatif. Le processus a été long. Après tant d’années à me cacher à moi-même ce qui n’allait pas, je devais maintenant pelleter ma cour et faire le ménage. Puis, peu à peu, j’ai commencé à vivre ces émotions si bien refoulées, les unes après les autres. J’ai passé deux mois en perpétuelle colère. J’en ai voulu à mes parents de ne pas m’avoir appuyée quand j’en aurais eu besoin et de ne pas m’avoir montré comment vivre mes émotions. Après la colère, j’ai été envahie par une profonde tristesse. Comme si, après tout ce temps, tout ce que j’avais refoulé se battait finalement pour sortir.
J’ai eu peur de transmettre cette gestion malsaine des émotions à mes futurs enfants. J’ai travaillé fort pour me sentir mieux, pour moi, mais aussi beaucoup pour eux. Et un jour, j’ai pu nommer clairement ce que je vivais. Ça aura pris quatre ans. Quatre ans de bouleversements, de rencontres avec ma psy et de travail sur moi. J’ai éventuellement compris que mes parents n’ont pas omis de me transmettre leur sagesse émotionnelle. On ne peut pas enseigner ce qu’on ne connaît pas.
Aujourd’hui, je dois encore parfois me forcer à vivre mes émotions au moment où elles arrivent. Je dois prendre un temps d’arrêt et me questionner. Mais ça fait plusieurs années que je n’ai pas attendu qu’il fasse nuit pour pleurer et que je n’ai pas ressenti cette fameuse boule dans ma poitrine. Et je me sens finalement bien.
Avez-vous fait des changements dans votre vie avant l’arrivée de vos enfants afin qu’ils n’aient pas à endurer ce que vous avez vécu?