Si vous avez manqué la première partie, vous pouvez la lire ici.
J’ai passé toute la journée suivante, et la nuit, à l’hôpital, à recevoir périodiquement une dose du médicament destiné à déclencher le travail. Les contractions ont commencé au milieu de la nuit. On m’a donné de la morphine pour que je n’aie pas à endurer la douleur. Mes eaux ont crevé un peu plus tard et j’ai poussé un peu pour faire sortir bébé.
Elle est née à 4 h 57 et pesait 160 grammes. La vie avait déjà quitté son corps si minuscule. L’infirmière a essayé de prendre des empreintes de ses mains et de ses pieds, mais ils étaient si petits qu’elle n’y est pas arrivée. On l’a emmaillotée, on lui a mis un chapeau et on nous l’a donnée. Une infirmière a pris quelques photos, puis nous a laissés seuls avec notre fille. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé. Nous l’avons bercée, nous avons pleuré. Nous avons bien regardé chacun de ses petits plis pour les graver dans notre mémoire, puis nous l’avons donnée à l’équipe pour le transfert à l’hôpital responsable de l’autopsie.
Je suis sortie de l’hôpital quelques heures plus tard, les bras et le cœur vides, ma petite boîte de souvenirs sur les genoux. C’était tout ce qu’il me restait de mon bébé : ça, et dix livres à perdre. C’est mon chum qui a pris le téléphone pour raconter notre histoire à quelques parents et amis. Moi, j’en étais incapable. J’avais perdu mes mots en même temps que ma fille.
La conseillère en génétique m’a appelée le lendemain de mon retour à la maison. Elle avait les résultats de l’amniocentèse : contrairement à ce qu’elle avait prévu, les chromosomes étaient normaux. L’autopsie n’était pas terminée, mais on lui avait dit que notre petite fille avait un situs inversus, ce qui signifie que tous ses organes étaient inversés. Ceux qui devaient être du côté gauche étaient du côté droit et vice-versa. La dernière possibilité se concrétisait : nous étions peut-être porteurs d’une maladie génétique.
C’est là que j’ai touché le fond. Avant cet appel, il y avait toujours eu une prochaine étape définie. Une suite sur laquelle me concentrer pour faire abstraction du reste. C’était terrible, c’était injuste, mais ce serait une horrible malchance qui ne se répéterait pas. Une parenthèse. Je ferais mon deuil, je retomberais enceinte. Mais là, devant le risque de 25 %, j’ai frappé un mur. Je ne pouvais pas refaire ça. Je ne pouvais pas revivre ça.
Je ne serais peut-être jamais maman.
Il ne nous restait qu’à attendre les résultats de l’autopsie, qui viendraient on ne savait quand.
Je me suis fait couper les cheveux. Je les ai teints. Nous avons fait des rénovations, acheté une nouvelle auto, fait des plans de voyage. N’importe quoi pour changer d’identité, de vie; n’importe quoi pour forcer le temps à passer.
En même temps, j’obsédais. Je googlais indéfiniment les anomalies de ma fille pour trouver une explication, une maladie génétique qui correspondrait. Je fouillais les forums sur le deuil périnatal à la recherche d’une personne, juste une, dans la même situation que moi.
Je suis retournée travailler. Seules deux superviseures savaient ce qui m’était arrivé; mes autres collègues ont tenu pour acquis que j’avais fait un burn-out. Je le leur ai laissé croire. L’histoire s’alourdissait de jour en jour; elle était devenue trop longue et sa conclusion continuait de s’éloigner dans le temps. Elle était déjà beaucoup trop concrète, et il me semblait qu’elle le serait encore plus si je la mettais en mots.
À suivre…