J’m’en cache pas. C’était une de ces nuits-là. Ces crisses de nuits-là. Ça serait difficile à cacher anyway : j’ai des cernes jusqu’aux genoux et je baille à m’en décrocher la mâchoire.
Ces nuits-là. Je parle des nuits sans dodo. Ou si peu que ça compte à peine. Celles où le nombre d’heures de sommeil est plus petit ou égal au nombre de ridules visibles autour de mes yeux.
La promesse de sommeil est probablement pire qu’une nuit blanche parce qu’à chaque fois que j’arrive à me rendormir, j’y crois. Ça y’est! Cette fois c’est la bonne, j’me rends jusqu’à l’alarme du cadran, ça peut pas en être autrement.
Eh bien non.
Et là je n’parle pas de nuits d’ébats nombreux et sulfureux ou des folles sorties qui s’finissent entre un autre code régional et le fond d’une bouteille de gin.
Non.
Je parle de nuits de semaine ben ordinaires où j’donnerais mon royaume pour un ronflement.
Ces nuits-là.
Les nuits de nombreux réveils. Les nuits de pleurs et de cris après minuit où moi comme maman, j’fais la funambule sur le mince fil de l’amour infini pour mon enfant et de mon besoin de repos urgent.
Équilibre précaire. Vertiges.
Insomnies.
Je veux l’aider. La nourrir. La consoler. Ramasser son ostie de dauphin en peluche qui est tombé sur le plancher pour la 5e fois.
Je veux tout faire pour lui rendre la vie douce. La nuit longue, cotonneuse et berçante. Mais je ne peux le faire qu’au profit de la mienne. C’est le triste bargain de se sentir égoïste que de vouloir dormir sa propre nuit.
Ces nuits n’appartiennent à aucun âge, elles ne sont le propre d’aucun « genre » d’enfants. Tous les parents y ont droit à peu près tout le temps, une fois de temps en temps. Y’a de la démocratie au pays du zombie, de l’équité chez les trépanés.
Les parents d’un tout neuf soudé au sein. Les parents d’un 1 an qui découvre les terreurs nocturnes ou du deux ans qui veut jouer au pompier de minuit à 4 h am. Les parents d’un 3 ans qui a peur du loup à trois tentacules sous son lit. Les parents d’un 6 ans surexcité à l’idée d’une sortie au zoo le lendemain. Les parents d’un 10 ans qui a attrapé la scarlatine en même temps que tous les enfants du coin. Les parents d’un 16 ans toujours pas rentré un samedi soir à 3 h du matin.
Le temps s’étire et se disloque : 5 minutes ou 5 heures c’est pareil, on sait plus trop, l’aller-retour entre notre oreiller et le lit du chéri bambin c’est un marathon au ralenti ou le pas de deux en fast-forward, on nage en plein délire et qu’à cela ne tienne, on sera scrap le lendemain.
Au meeting de 9 h, gros café en main, j’entrerai dans la salle en cherchant des yeux un autre parent, il me regardera, l’œil en coin et reconnaîtra mon état en moins de deux : « Ah… C’était une de celle-là… One of those. » me dira-t-il.
J’acquiescerai, mes paupières lourdes, claquant au vent.
Pour le sommeil, y’a la retraitre. Ou l’enfance.
J’devrais lui dire de dormir, là là, pendant qu’elle le peut encore. Pour prendre de l’avance, pour le mettre en banque, au congélo entre les Mr Freeze et les p’tits pois.
Et faire d’une pierre deux coups.
Parce que si elle dort… j’dors aussi!
C’est ça le problème avec le temps. Ça finit toujours par faire des paradoxes.
Comme celui de vouloir dormir tout en étant là pour elle.
T’sais… ces nuits-là.
Qu’est-ce qui vous a gardé réveillé la nuit passée?