Durant ma grossesse et mon congé de maternité, il n’y a pas que mon corps qui a changé. J’ai évolué en tant que personne. J’ai développé mes idées féministes. J’ai commencé à m’affirmer un peu plus. J’ai retrouvé mon goût de débattre, que j’avais perdu dans les dédales du bien paraître, que j’avais « beigifié » pour faire ma place sans faire de bruits.
Lors de ma rencontre de retour au travail, j’étais heureuse. Motivée, pleine d’idées, mais j’ai frappé un mur. J’y ai rencontré ce collègue dont j’avais déjà entendu parler, mais qui m’avait plutôt épargnée depuis le début de ma carrière : Monsieur le Patriarcat.
Crédit : Karam Al-Gosselin/Flickr
Mon patron, qui avait été si compréhensif et ouvert à l’annonce de ma grossesse, avait perdu son sourire complice et son sens de l’écoute quelque part dans mon sac à couches. Sa tête était prise dans les nuages d’une promotion imminente. Il m’a rapidement fait comprendre qu’il n’avait plus le temps pour moi.
Ma grande crainte s’était réalisée : celle qui m’avait remplacée était efficace, créative, sociable et n’avait pas de plan bébé en vue. Pour la garder, on m’a d’abord offert un poste qui n’était ni dans mes champs d’intérêt ni dans mes compétences, à salaire moindre, en me vantant l’idée d’un horaire de 9 à 5 qui n’avait jamais été dans mes plans, mais qui faciliterait tellement ma vie de famille…
Parce que oui, Monsieur Patriarcat sait ce qu’il vous faut pour vous épanouir en tant que maman, mesdames.
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Plus je réfléchissais à cette offre, plus j’en étais insultée et plus ma confiance était ébranlée. J’ai refusé, ce qui m’a emmenée à cette deuxième rencontre où je croyais pouvoir parler (et négocier) seul à seul avec mon supérieur. Mais non. Il avait invité deux autres membres de la partie patronale ainsi que Monsieur Patriarcat, invisible à l’œil, mais de plus en plus tangible dans mes tripes. À trois visages fermés contre ma petite personne, j’ai craqué. J’ai pleuré comme une madeleine. L’image est choisie, t’sais, la Sainte Vierge qui n’existe que pour son fils. La seule femme de la pièce a voulu m’aider en mettant le tout sur le dos des hormones, comme si je n’avais pas le droit d’être en beau maudit juste parce qu’on me réservait un traitement injuste.
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Depuis, j’ai vécu des situations et j’ai eu droit à des commentaires hyper dérangeants que j’aimerais tellement citer ici… mais je ne le ferai pas, par peur de représailles. Mon nouveau supérieur immédiat est le classique de l’homme blanc qui n’a pas envie qu’on lui pointe ses privilèges. Ça le dérange quand j’ose parler de féminisme, de culture du viol ou de vraie conciliation travail-famille. Plus il me mansplain, plus j’ai envie de crier. Mais j’encaisse les commentaires pour ne pas donner l’impression de perdre mes moyens, pour ne pas avoir l’air de la personne incapable de remplir les exigences du travail depuis qu’elle s’occupe aussi de sa famille.
Mes patrons sont tous des hommes et il y en a un seul en qui j’ai confiance. Je cherche mon petit change, pour le ramasser et aller lui parler. Mais comment je fais ça, au juste? J’ai peur qu’il prenne la part, lui aussi, de Monsieur Patriarcat. Dans mon domaine et dans bien d’autres, on ne dénonce pas vraiment ce genre de choses. J’ai peur que pousser trop loin me coûte mon emploi. Maintenant, qu’est-ce qui est le plus important? Mon poste dans l’immédiat ou mon intégrité? Est-ce que ma petite pierre pourrait trouver écho chez d’autres? Est-ce qu’ensemble, on pourrait ébranler le mur?
Peut-être qu’il est trop tôt. On a fait un grand pas dans la dénonciation du harcèlement sexuel depuis quelques semaines et c’est génial. J’espère que la prochaine étape sera de s’attaquer aux inégalités persistantes. J’espère que le prochain à perdre son poste sera Monsieur Patriarcat. Mesdames, aux fourneaux, vous avez du pain sur la planche!
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