Le deuil périnatal (les définitions changent, mais celle du regroupement Parents Orphelins comprend le deuil d’enfants décédés pendant la grossesse, à l’accouchement et durant la première année de vie) se caractérise beaucoup par un deuil du futur. De ce qu’on avait projeté, imaginé.
Ça peut être technique, l’aménagement de l’appartement par exemple. À la maison, on avait aménagé un coin pour Françoise dans notre chambre. C’était joli. On s’était dit qu’en août, on changerait de chambre avec la plus vieille pour installer les deux filles dans notre chambre. Retirer le moïse et la chaise destinée à l’allaitement fut pénible. Ça troue le cœur. J’en ai bercé des petits pyjamas vides. Des moments comme ça sont le pain quotidien des familles nouvellement endeuillées. Défaire sa valise d’hôpital. Recevoir par la poste un colis avec des vêtements de bébés d’une amie éloignée. Se faire féliciter pour sa grossesse parce qu’on porte encore le ventre où a grandi Françoise, mais qu’on n’a pas de bébé dans les bras. Voir un bébé de trois mois, âge qu’aurait aujourd’hui Françoise, en jouant au parc avec sa plus vieille.
J’illustre ici des douleurs vécues quotidiennement. On peut vivre des moments plats, ou même des moments de bonheur intacts, et on tombe sur des muffins congelés qu’on s’était faits quand on était enceinte en se disant qu’on serait contents de les manger la nuit, quand on est crevés de fatigue d’avoir essayé d’endormir un nouveau-né qui ne comprend pas le découpage des jours. Une femme endeuillée d’un bébé de trois semaines racontait la douleur de retrouver un sac de lait congelé oublié. C’est la madeleine de Proust.
Je parle ici de ces douleurs pour que les proches, et même les moins proches, comprennent. On a besoin de votre soutien. Si vous accompagnez des parents endeuillés et que vous le pouvez, soyez entreprenants. « Hésite pas si t’as besoin de quoique que ce soit ». Mais on est à terre. Lever le bras est difficile. La personne endeuillée passe souvent par des phases de désorganisation. Le quotidien est engloutissant. En donnant la responsabilité à la personne de vous contacter en cas de besoin, même si le geste est noble, même si on veut laisser l’espace à notre ami.e et ne pas s’imposer peut isoler le parent. Soyez concrets.ètes.
L’importance des mots
Au début, je devenais enragée quand on me parlait de mon prétendu courage ou qu’on me disait ne pas comprendre comment je faisais, parce qu’eux seraient incapables d’y faire face. Comme si je ne souffrais pas assez. Comme si je ne pleurais pas assez. Comme si j’aimais moins mon enfant qu’eux, pour qui c’eût été insoutenable. Comme si j’avais le fucking choix. Mais avec un tout petit bout de chemin accompli, je trouve qu’effectivement, je suis forte. Je suis vraiment bien outillée, entourée pour vivre ce deuil. Je ne fuis pas.
Taire l’existence du bébé est aussi souffrant. Même si c’est parce qu’on se dit que le parent n’a peut-être pas envie d’en parler. Même si c’est parce qu’on craint de réveiller une souffrance qui était peut-être endormie pour quelques instants. Je préfère mille fois revisiter cette peine plutôt qu’on la taise. C’est dans la parole que Françoise existe. Si on la tait, elle n’existe que pour nous. Comme tous les parents, on veut partager notre enfant avec le monde. Françoise n’est pas là pour qu’on lui caresse les joues. Pour qu’on lui trouve des ressemblances avec moi, avec mon amoureux, avec sa sœur. La dire, en nous demandant comment ça va aujourd’hui, en nous témoignant votre sympathie souligne son importance. J’étais dans une fête d’ami, quelque temps après sa mort, et une connaissance, malgré le contexte de célébration m’a dit : « je sais que c’est délicat, mais je voulais te dire que nous avons été bouleversés par le décès de Françoise ». C’était parfait. Ça m’a réchauffé le cœur.
Le deuil d’un bébé est la trame de notre vie. Au début, les deux premiers mois du moins, j’avais constamment besoin d’en parler. Comme un trop-plein qui se déversait hors de moi. Dans mon cas, la parole a été importante dans l’intégration du drame. La mort périnatale se déroule souvent dans des circonstances traumatiques. Mon drame s’est joué en quelques heures. Je suis passée d’une grossesse parfaite, de l’excitante impatience de la rencontre, d’un tranquille travail latent à une hémorragie, une ambulance, la mort. Le point de bascule entre le moment où tout va bien et celui où rien ne va plus est traumatique. En plus du corps, l’esprit perd ses repères. Pour intégrer les événements, dire et redire la séquence peut être important. Dans les débuts, je répétais inlassablement le fil des événements. Les détails étaient essentiels pour moi. Mais en les disant mille fois, en repassant par ce chemin, j’intégrais peu à peu cette réalité. Que cette histoire à la con était la mienne. Celle de ma famille. J’ai eu la chance de trouver des personnes qui m’ont écoutée patiemment. Et qui continuent de le faire. J’ai aussi la chance de pouvoir me payer de l’aide professionnelle avec une psychologue en qui j’ai confiance. Et je continue de parler à une travailleuse sociale chevronnée.
Je pense que la guérison, l’acceptation de l’inacceptable, passe beaucoup par la manifestation de l’existence de l’enfant. La parole joue un rôle essentiel. Le parent endeuillé peut trouver du réconfort auprès de groupes de soutien virtuel, ou physique, auprès de professionnel.le.s, mais le rôle de l’entourage est essentiel. C’est avec vous que nous vivions notre vie d’avant. C’est à vous que nous avons annoncé notre grossesse, que nous avons partagé les photos de nos échographies. Nous avons travaillé à vos côtés, nous avons souligné des anniversaires ensemble. Nous avons maintenant besoin de partager notre deuil avec vous. Nous avons besoin de votre empathie. De votre écoute. De vos offres pas d’allure. Nous avons besoin d’être dans vos vies. Encore. Si vous en êtes capables, n’occultez pas la mort d’un bébé. Je comprends votre inconfort. Mais dites ces enfants. Leur absence est plus supportable quand les vivants l’adressent. C’est un drame que des bébés meurent. Les taire isole les parents dans leur drame. Demandez aux parents comment ils vont aujourd’hui. Dites-leur que vous êtes tristes pour leur perte. Que vous reconnaissez qu’ils sont parents, surtout si c’est leur premier enfant. Nous avons besoin que vous reconnaissiez notre drame. En le reconnaissant, vous admettez la petite vie perdue. Vous nous dites que cette vie a compté. Et compte toujours.
Les parents orphelins offrent ici quelques suggestions pour soutenir les parents endeuillés. http://www.parentsorphelins.org/soutenir-un-parent-endeuille/
Partie 1 – Mon histoire
Partie 2 – Des ressources à l’attention de soi