J’ai entendu cette histoire cent fois. Mon père était échaudé par l’arrivée de ma sœur, qui n’était pas une enfant facile. Il n’en voulait pas d’autres. Ma mère ne pouvait se résoudre à n’avoir qu’un seul enfant. Il a posé sa condition : elle devait choisir entre avoir un bébé ou poursuivre sa carrière.
Elle m’a choisie, moi.
Le but de ce récit a toujours été de me faire savoir à quel point j’étais une enfant désirée, du moins par ma mère. Il devait me rendre fière, me donner de la valeur. Pourtant, il a toujours été pour moi une grande source de malaise.
J’ai eu cette maman. Cette maman ultra dévouée. Celle qui est demeurée à la maison treize ans malgré le fait que, de son propre aveu, elle n’avait pas le tempérament pour ça. Celle qui faisait des petits gâteaux pour tous les élèves de ma classe à ma fête. Elle était de toutes les sorties scolaires, faisait du bénévolat à la bibliothèque de l’école et me sortait en douce les nouveautés pour que je puisse les lire avant tout le monde. Elle nous a donné, à ma sœur et moi, le plus beau des cadeaux : une enfance insouciante et libre.
Crédit : AdinaVoicu/Pixabay
Cette preuve d’amour me sidère encore. Elle a renoncé consciemment à ses ambitions professionnelles pour devenir mère. À accepter d’être celle qui prend tout en charge, à oublier la femme en elle, à un point tel que même mon père l’appelait « maman ». Elle demeure, encore aujourd’hui, ce modèle d’abnégation. Elle prend soin de ses filles, et maintenant de ses petits-enfants, au-delà d’elle-même.
Je n’ai pas été en mesure de prendre conscience de l’ampleur de ce dévouement avant de devenir mère à mon tour. Sans faire de psychologie à deux sous, je crois que cette « hyper » maternité n’est pas étrangère au fait que j’ai mis si longtemps à me décider à avoir un enfant. Devant ce modèle de maman plus grand que nature, je ne pouvais que souffrir de la comparaison.
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On porte toutes en nous une image mentale de ce que devrait être « une bonne mère », un idéal façonné par notre vécu, nos valeurs et aussi par la façon dont nous avons été maternées. Si on a été déçue, blessée ou abandonnée, on veut assurément se détacher de ce modèle nocif pour en recréer un plus doux, plus près de soi. Mais avoir eu une mère « trop » mère? Est-ce possible?
À bien y penser, il est impossible de comparer mon vécu avec le sien. À mon âge, elle avait une situation déjà bien établie, mais peu de perspective. La maternité était encore considérée comme l’avenue identitaire naturelle des femmes. Le partage des tâches était un concept embryonnaire. S’oublier quand on avait des enfants allait de soi.
Le monde dans lequel j’évolue est autrement plus complexe. Pourtant, dans ma façon de prendre soin de mon fils, je retrouve parfois ma mère en moi. Je m’oublie de temps en temps, presque par réflexe. Parce que c’est cet amour-là qui m’a façonnée. Je dois avouer que je ne sais pas toujours quoi faire de cet héritage affectif. Je navigue tant bien que mal entre tous les possibles : ce modèle inatteignable de maman ultra disponible, la pression de devoir « performer » sur tous les fronts en tant que femme du 21e siècle et mes propres aspirations. Trois idéaux, si difficilement conciliables…
Quelle est véritablement l’influence de notre modèle maternel sur notre façon d’être maman?