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Un récit d’un accouchement en campagne québécoise dans les années 1950

Ma mère est issue d’une famille de seize enfants et celle de mon père en compte onze. Vous pouvez donc vous imaginer que j’ai l’embarras du choix en termes de récits de vie. Il y en a un qui est particulièrement cocasse et qui porte en lui toute l’histoire sociale du Québec rural des années 1950.
 
Dans ce temps-là, les mères accouchaient à la maison. C’était l’époque où le médecin de campagne se déplaçait pour les accouchements, quand il était possible pour lui de se rendre dans le fond des rangs à temps. Souvent, il arrivait pour finalement constater la naissance des enfants. La mère se débrouillait seule ou avait parfois l’aide des « accouchantes » (des femmes de son entourage ou des sages-femmes).
 
La vie quotidienne était alors régie par la religion catholique. Après avoir contacté le docteur, le second sur la liste était le curé de la paroisse. Le taux de mortalité infantile élevé dans les campagnes profondes nécessitait de faire baptiser l’enfant naissant au plus vite afin qu’il évite les limbes pour l’éternité.

Ma grand-mère a donc accouché seule d’une fillette pendant que mon grand-père prenait un coup dans la pièce d’à côté avec le curé, le parrain et la marraine qui attendaient tous la venue de l’enfant à naître. L’histoire n’a pas retenu depuis combien de temps le quatuor s’enivrait d’alcool, mais le bébé leur a rapidement été remis pour procéder au baptême pendant que ma grand-mère tentait de récupérer de son accouchement.
 
Je ne sais pas si, pendant sa grossesse, elle avait mentionné à mon grand-père quelques choix de prénoms pour le futur bébé. Toujours est-il que, sous les effets euphorisants du liquide absorbé, les noms ont été octroyés, les papiers signés et la petite était dorénavant une chrétienne en toute légalité. Les festivités pouvaient se poursuivre.
 
Quand ma grand-mère fut rétablie et que mon grand-père put aligner deux mots, elle lui demanda quel nom il avait finalement choisi pour cette nouvelle venue. « Marie Agnès Claude Lachance*! » 
 
C’est dans un état de surprise et de colère qu’elle lui annonça qu’ils avaient déjà une fille qui portait le nom d’Agnès et aussi un fils qui se nommait Claude. Mon grand-père avait choisi des prénoms qui étaient déjà donnés à ses autres enfants! Ni la marraine ni le parrain ni le curé n’avaient réalisé leur erreur sur le coup.
 
Il n’y avait aucune possibilité à cette époque de refaire un baptistaire catholique. Pour réparer la faute commise et donner à l’enfant un nom qui lui appartiendrait en propre devant Dieu et les hommes, le curé a décidé d’inscrire Marie Agnès Claude dite Cécile Lachance au document religieux qui faisait alors foi de document administratif pour statuer la naissance.
 

Pendant une bonne partie de sa vie et jusqu’à tant que l’état québécois se modernise et corrige légalement son nom officiel, Cécile a dû expliquer pourquoi son prénom usuel n’était pas celui octroyé à sa naissance. Elle a fréquemment présenté une copie de son baptistaire pour prouver ses dires et répondre aux questions des fonctionnaires qui lui demandaient comment une telle erreur avait pu être commise. #Eau-de-vie
 
Avez-vous une anecdote de famille à nous raconter?
 
*La tradition veut qu’au Québec francophone catholique, le prénom Marie soit donné aux enfants nés filles et celui de Joseph, aux garçons (Brigitte Garneau, 1985, p. 43). Les noms dans cet article ont tout de même été changés par respect pour les personnes.

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