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Avoir un enfant et voir les choses autrement
Crédit: Gabby Orcutt/Unsplash

Mes yeux ont vu beaucoup avant de voir ma fille naître.
Des jours gris, des couchers de soleil lumineux, des orages avec ou sans éclairs.
J’ai vu des gouttes de pluie couler sur la toile de plein de parapluies.
 
Et à force de voir, le bonheur et les couleurs se sont doucement mis à s’estomper.  Pas disparaître, non.  Mais affadir, comme une version pastel de la vie.  C’est doux, réconfortant, sans aspérité.

Le bonheur et les couleurs. On les prend tous les jours un peu plus pour acquis, on se dit que tout est là pour rester, qu’on en a vu d’autres, qu’on pourra toujours regarder demain si on pas assez vu.
Je ne me suis pas aperçue que je voyais en mode économiseur d’écran.
J’avais oublié le feeling d’intensité. Je pensais m’en souvenir. 
Je me trompais.

En mode unimpressed.
Crédit : Giphy

 
Le wake-up call s’est fait à l’accouchement.  Quand j’ai vu le rouge de tout ce sang.  Quand j’ai vu le blanc de tout ce vernix qui enrobait mon enfant.  Quand j’ai vu par dedans, tellement la douleur dépassait tout ce que j’avais pu connaître auparavant.
Mon regard s’est tout de suite aiguisé, j’ai vu ce que je ne voyais plus depuis des années.
 
Si j’avais, par le passé, été blasée par une cascade au cœur de la jungle, le matin de la naissance de ma fille, j’étais émerveillée par un souffle. 

Une respiration.

Une fonction corporelle que je répétais 25 000 fois par jour.  Et pourtant.  Chacune des siennes semblait inouïe.  Ce petit corps qui se gonfle et qui soupire dans le plus charmant des petits bruits.

Comme si le filtre Instagram avait été arraché de la vie.  Comme si je la voyais crue, vraie, nue. Dans toute sa beauté et son authenticité.

Crédit :  Giphy

 
Je ressentais pour ma famille une connexion serrée.  Une appartenance.  Un sentiment d’être à la bonne place au bon moment.
Des joies vertigineuses me faisaient monter les larmes aux yeux.  Des instants de désarrois, d’épuisement en faisaient tout autant. 
La sève de mes sentiments se mêlait en cocktail explosif ; les pleurs débordaient d’un trop-plein de beau et de vrai.
 
Ma fille grandit, les tons de ma vie sont toujours aussi saturés.  À l’ombre de son expérience, elle renouvelle les miennes et fait en sorte que je revois les feux d’artifice colorés. 
Elle et moi, on éclate de rire quand on se fait surprendre par une bourrasque de vent.  Elle, parce qu’elle découvre une nouveauté.  Moi, parce que son émerveillement me rappelle le mien que j’avais oublié.

 

Nos rires saturés
Crédit : Julie Marchiori

 

Ma fille m’apporte, à son insu, un cadeau inattendu.  Le reboot et la mise à niveau de tous mes sens, de tous mes sentiments.  J’aime comme jamais.  Je ressens mieux qu’avant, même si ça inclut la fatigue et le découragement.
 
Je n’oublierai pas que j’ai vu fade sans le savoir.  C’est trop important.  Faudra que je lui dise, à ma fille, pour la prévenir, pour la mettre en garde. 
Mais me croira-t-elle, vraiment?

Il aura fallu qu’elle naisse, moi, pour que j’en prenne la mesure. Complètement.

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