Papa pis Dada étaient un couple comme les autres, c’est-à-dire vaguement narcissique, aimant les jolies choses blanches et épurées, buvant des cocktails amusants le jeudi soir avec des copines et dormant tard le samedi. Puis un beau matin, nous nous sommes dit: « Heille, il me semble que c’est trop propre pis calme chez nous pis qu’on feel pour avoir un p’tit à aimer et à éduquer qui serait l’équivalent d’avoir à contrôler les dégâts d’un blender pas de couvercle. »
«Me semble que j’aurais le goût d’attendre un cri strident pendant des heures!» Dada Blaise
Décider d’avoir un enfant s’avérerait être une aventure complexe, parce que pour des couples de papas only, il n’y a pas beaucoup d’avenues possibles pour avoir un enfant. Nous n’étions pas des vedettes (not yet!) donc avoir recours à une mère porteuse comme l’a fait Neil Patrick Harris ou notre Joël Legendre local n’était pas une option envisageable pour notre maigre portefeuille de banlieusards de la Rive-Sud.
Restait donc l’adoption! Facile non? Tout le monde adopte de nos jours! C’est comme faire l’épicerie! Un pet! J’vais passer ça haut la main, que j’me dis. Les tests et les évaluations, pis dans moins d’un an, nous aurons une belle p’tite Chinoise ou un p’tit Russe à dorloter, pis la musique va s’élever, John Williams style, pendant que Papa pis Dada se regarderaient tendrement, bébé précieusement lové dans nos virils bras.
Oups! Vous devrez attendre un bon trois ans, si ce n’est pas plus avant d’avoir un enfant.
Oups! Vous n’êtes pas mariés, sorry guys!
Oups! Vous êtes deux hommes. Vous ne pouvez pas adopter dans tel et tel pays. En fait, pas mal tous les pays vous sont interdits. Vous pouvez adopter en tant que célibataires, mais vous devrez avoir deux adresses différentes. Tough luck!
Non, messieurs, vous ne correspondez pas à nos critères. Un peu déconfits, Papa pis Dada se tournent alors vers une autre option : l’adoption au Québec. Ahhh, ici c’est plus « lousse », deux hommes, ça ne leur fait pas peur. Par contre, on parle ici de famille d’accueil en voie d’adoption. Nuance.
Famille d’accueil, ça veut dire beaucoup de choses.
Ça veut dire s’occuper, aimer, éduquer un enfant qui n’est pas le vôtre aux yeux du gouvernement, ça veut dire une attente interminable pendant des mois, voire des années pour passer devant un juge qui décidera de l’avenir de votre famille, ça veut dire des visites supervisées avec la maman biologique dans un local gris et impersonnel où votre bébé, que vous aimez soudainement avec toute la douleur qui habite votre corps, pleure parce qu’il vous cherche et il est en détresse sans vous. Ça veut dire des nuits blanches à le consoler suite à ces fameuses visites. Ça veut dire un petit bébé anxieux qui a été trimbalé avec beaucoup de monde avant d’arriver chez vous. Ça veut dire que vous ne pouvez pas lui couper les cheveux comme vous voulez ou prendre des décisions majeures sur sa vie. Ça veut dire que vous n’avez pas choisi son nom et qu’il ne portera peut-être jamais votre nom de famille. Ça veut dire un enfant qui sera toujours un peu différent, hors-normes.
Pourtant, Papa pis Dada ne se découragent pas. Quelques évaluations psychosociales plus tard, ils se retrouvent sur la liste d’attente. Trois mois. Trois mois à attendre un bébé. C’est comme dans le pas très long et le un peu surprenant. Certains attendent des mois, voire un an et plus. D’autres attendent deux jours à peine et reçoivent un appel. Comme dans les livres et toutes les histoires de bonheur, c’est vraiment au moment que vous vous y attendez le moins.
Genre un vendredi avant-midi et je suis encore en p’tite culotte en mangeant mon bol de céréales tout en me grattant le ventre. Je ne suis pas prêt à ça, mais pas du tout. C’est l’équivalent d’apprendre que je suis « enceinte », même si ce n’est pas comparable, parce que le bébé arrivera quatre jours après.
C’est l’appel le plus glorieux et inquiétant de ma vie. Je suis figé dans le temps et l’espace, je remarque chaque détail de ma cuisine et des arbres dehors qui dansent dans le vent. La lumière du soleil qui coule comme du miel sur tout ce qu’elle touche. Le bruit des tondeuses et les ramifications de la rue derrière. C’est la vie, là, là. Elle arrive subitement. Pis ensuite, l’intervenante me dit son nom. À mon bébé. Son petit nom juste à lui qui va devenir le mien. Et il a un nom normal, qui sonne bien, un nom que j’aurais choisi moi-même, un nom qui résonne dans mon cœur pis c’est terrifiant de vérité, parce que je l’aime déjà cet enfant-là, même si je ne le connais pas, même si je ne l’ai jamais vu. Ce n’est pas un nom bâtard comme Pleurotte ou Gargamel. Là, je pleure ma vie, et maintenant, je pleure un petit peu d’émotion chaque fois que j’en parle ou que je l’écris. Parce que c’est à ce moment-là que je suis officiellement devenu un Dada. C’est à ce moment-là, que j’ai commencé à aimer pis à m’inquiéter pour un p’tit qui resterait avec moi pour toujours, mon futur petit garçon juste à moi.
Pour détendre l’atmosphère, voici une représentation de ce dont j’avais l’air quand je pleurais au téléphone :
C’est ti pas merveilleux la vie? Moi j’trouve que c’est pas pire pantoute.