Je suis enceinte pour la première fois, avec tout ce que ça suppose de vertiges, de bonheurs, de réflexions, de questionnements. Être enceinte suppose aussi qu’on finit par l’annoncer à des dizaines de personnes, pendant des dizaines de semaines.
Un mot revient presque chaque fois, accompagné d’un immense sourire : « félicitations ». Évidemment, je suis polie et gentille, je dis « merci », je souris. Mais à l’intérieur de moi, ce mot me fait parfois un drôle d’effet. C’est un mot que j’associe au succès, à la réussite. Un mot que j’ai eu la chance d’entendre dans ma vie, un mot qui fait plaisir. Dessin réussi, première promenade à bicyclette sans les petites roues, bonnes notes à l’école, prestation artistique appréciée, obtention de l’emploi tant souhaité, mariage. Ce dernier mot détonne un peu dans la liste, mais pas tant que ça, quand on y pense. Faire durer un couple et promettre qu’on va essayer de le faire durer pour toujours, c’est beaucoup de travail et c’est une réussite dont je suis plutôt fière.
Et maintenant, la grossesse, et ces félicitations qui me chicotent toujours un peu, même si le sentiment qui les inspire me fait plaisir. On m’a félicitée pour mes bonnes notes parce que j’avais travaillé fort. On m’a félicitée lors de mes concerts parce que j’avais pratiqué pendant des heures. On me félicite pour le bébé parce que… Je ne sais trop. J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait pour l’instant, c’est essentiellement avoir une relation sexuelle non protégée. Pendant laquelle je n’ai, si mon souvenir est bon, pas fourni une tonne d’efforts. #Confession
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Si on me félicite, c’est parce que cette grossesse est vue comme une réussite. Même si ce n’est pas du tout ce à quoi pensent les gentilles personnes qui me félicitent, j’ai un léger malaise avec le fait que ça sous-entend que le contraire serait un échec. Tous les couples autour de moi qui se démènent avec l’infertilité n’ont rien fait de moins bien que moi, au contraire. Et même si c’est probablement une pensée qui leur tourne parfois dans la tête, j’espère qu’ils ne voient pas leurs difficultés comme un échec. Ma grossesse n’est ni une réussite ni un échec, elle EST, tout simplement. Ce matin-là, j’avais envie de faire l’amour et la nature a décidé que ce spermatozoïde allait féconder cet ovule, me projetant dans l’aventure la plus folle et la plus imprévisible de ma vie.
J’ai l’impression, pour l’instant, que je n’ai pas travaillé si fort que ça. Que le véritable défi est à venir. Accoucher. Allaiter. Consoler. Cajoler. Éduquer. Encadrer. Émerveiller. Accompagner. Célébrer. Gronder, parfois. Aimer, surtout. Quand j’aurai fait tout ça et que j’aurai contribué à faire de mon enfant un être épanoui, une bonne personne, j’aimerais bien qu’on me félicite et je crois que ces mots ne me chicoteront plus du tout. Parce que même si cette réussite sera essentiellement la sienne, ce sera aussi un peu la mienne. Et quelque chose me dit déjà que ce sera la réussite dont je serai la plus fière.