Il y a un peu plus de 10 ans, j’ai commencé à souffrir d’anorexie mentale.
Qu’est-ce qui m’a menée à ça? D’abord, parce que j’étais un peu ronde. Puis, j’étais du genre réservé, plutôt attirée vers la bibliothèque que par le gymnase. Je ne cadrais pas trop avec les autres ados. Et comme tout adolescent qui finit par finir sa puberté, j’ai maigri. J’ai maigri et ma vie a changé. J’avais plein de nouveaux amis, un chum plus vieux. Bref, tout ce que je pensais vouloir.
Et j’étais si jeune, au fond, et pleine de naïveté.
Et j’ai arrêté de manger.
Le midi, je donnais mes lunchs à mes amis en échange de leur soupe ramen – je prenais le bouillon et laissais les nouilles ramen.
Je faisais du sport aussi. Je me donnais même. Mon mantra de l’époque : « Pendant qu’on court, on perd des calories! » Ça semble anodin et c’est motivateur quand t’as 16 ans et que t’es pas trop bien dans ta peau, mais c’est malsain. Malsain parce que tu cours pour maigrir, par pour être en forme.
Je ne sais pas vraiment pourquoi « ça n’allait pas ». Pourquoi j’allais mal? Je voulais juste cadrer, me fondre dans la masse, être comme tout le monde. Par contre, je ne pouvais pas cadrer, ni me fondre. J’étais moi et je manquais de confiance.
En arrêtant de manger, j’ai eu l’impression de reprendre le contrôle de ma vie. Mes nouveaux amis, qui n’en étaient pas vraiment, ont cessé de l’être. J’étais vraiment seule, à nouveau.
Tous les trucs sont bons pour ne pas se nourrir. Et moins je mangeais, mieux je me sentais. Être mince me faisait sentir bien dans ma peau et apaisait mon mal intérieur.
Personne autour de moi ne s’en rendait vraiment compte, parce que « hey, t’as-tu vu comment est rendue mince Annie Nonyme? Elle est belle dans le fond, elle est fine aussi. »
Ça a duré presque un an. Noël est arrivé. Quand ma grand-mère m’a vue, c’est comme si, d’un coup, tout mon entourage a pris conscience de l’endroit très sombre dans lequel je me trouvais. J’étais alors squelettique. J’avais perdu près de 25 livres que je n’avais pas besoin de perdre.
Je me suis donc fait violence et j’ai mangé pour ne pas inquiéter ma grand-maman. Puis, je suis tombée très malade. Assez malade pour que les médecins soient inquiets. Heureusement, c’était une maladie qui se soigne assez bien, mais ça a été un gros signal d’alarme.
À partir de ce moment, je n’ai plus jamais été la même. Je n’avais plus d’envie, mais il fallait que je mange. Avec les années, j’ai redécouvert le plaisir de manger. Avec les années, j’ai appris à bien combiner l’activité physique, la nourriture et la gestion du stress.
Aujourd’hui, je suis une adulte (genre) épanouie, mais récemment, j’ai vécu une épreuve très difficile de harcèlement psychologique au travail.
Puis, comme pour reprendre le contrôle sur ma vie, j’ai cessé de manger. Je retombais dans mes vieux patterns.
Mon employeur me faisait sentir comme une moins que rien, me traitait mal comme de la marde et jugeait non pas la professionnelle que j’étais, mais la personne que je suis. Il me faisait des remarques continuelles sur mon apparence physique – mon poids, en l’occurrence –, sur la gestion de ma vie privée et même sur mon échelle de valeurs.
Heureusement, ça n’a pas duré trop longtemps. J’ai cessé de travailler pour l’employeur incompétent rapidement. Puis, j’ai repris le contrôle parce que j’ai su reconnaître tous les signes, les signaux d’alarme, et parce que je suis bien entourée. Tout de même, ça m’a pris du temps, me reconstruire, après ça.
Ce qu’on ne dit pas, enfin ce qu’on ne dit pas assez souvent, c’est que cette douleur, elle reste. Elle est là, même après 10 ans. Il faut lui parler un peu chaque jour pour lui expliquer. Comme pour s’expliquer à soi-même qu’on ne veut plus jamais aller la rejoindre. Et malgré ça, malgré l’âge, la maturité, les épreuves, on n’est jamais à l’abri d’une rechute. Il faut toujours travailler un peu sur soi. Il faut qu’on en parle, parce que cette insidieuse maladie se cache trop souvent derrière notre apparence de personne « en contrôle ».
Si vous sentez que vos vieux patterns refont surface, parlez-en. Que ce soit à votre meilleure amie, votre chum, votre mère, name it. Parlez-en et allez chercher l’aide professionnelle dont vous avez besoin, mais surtout, que vous méritez.
ANEB Québec
Le Programme des troubles de l’alimentation de l’Institut Douglas
Site de la semaine de sensibilisation aux troubles alimentaires