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Une grosse frousse et un 18 h d’attente (à l’urgence)
Crédit: www.cdsj.org/Montage : Nathalie Justine
J’habite assez loin du Québec. Ça me prend 15 heures de route pour retourner au bercail. Avec mon début de grossesse, je peux vous dire que les heures de transports accumulées pendants les fêtes étaient épuisantes. Je dirais même que c’était pénible, blame it sur les nausées, les crampes et douleurs au bas du dos.

Qu’à cela ne tienne, j’ai passé le Réveillon du jour de l’An en famille, au Québec, en mode « énergie du désespoir ». Je suis même allée vomir ma tourtière à quelque pas des invités – charmant! Visiblement, je n’étais pas top shape, mais j’ai mis ça sur le dos de la fatigue et à un abus de pâte brisée.
 
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

J’ai fini par me retrouver aux urgences de l’hôpital de Saint-Jérôme. En moins de cinq minutes, j’ai vu l’infirmière au triage et j’ai pu lui expliquer mes multiples symptômes : vomissements incessants, crampes utérines, douleurs au bas du dos… et lui préciser que j’étais enceinte! Il était 14 h 15. La capacité d’occupation de l’urgence était de 111 %. 

Je ne le savais pas encore, mais cette journée allait devenir un épisode d’un mauvais soap américain.


Crédit photo : abcnews.go.com
 
16 h 00 
J’ai dit à ma mère, qui était avec moi, d’aller faire ses courses et de revenir avec de petites victuailles, si la faim me venait. L’occupation de l’urgence était maintenant de 115 %.
 
17 h 30 
Toujours prise de crampes et de nausées, bien installée sur ma chaise droite en cuirette, j’ai décidé d’aller à la salle de bain (extrêmement mal entretenue, soit dit en passant – HELLO flusher un caca c’est la base dans la vie). Après une petite miction bien concentrée, je remarque un peu de sang sur le papier. Je panique et me dirige illico vers le centre de triage pour parler à une infirmière – parce que non, 3 heures plus tard, on n’avait toujours pas vérifié mon état de santé. L’occupation de l’urgence était alors de 126 %.
 
18 h 
Je revois l’infirmière au triage à qui j’indique mes nouveaux symptômes, la présence accrue de mes crampes ainsi qu’une douleur aigüe au bas du dos. Et c’est là que dans toute sa sensibilité, l’infirmière me dit : « T’sais, si t’es en train de perdre ton bébé, on peut rien faire pour toi. Viens me r’voir si ça empire ou si ta serviette sanitaire est remplie de sang. J’vas te donner deux Tylenol pour la douleur. » WOW. Je me sens absolument r-a-s-s-u-r-é-e.
 
18 h 15 à 23 h 30 
Il ne se passe rien. Mes symptômes restent les mêmes. C’est là que le fun commence. Les traumas arrivent par paquet de deux ou trois. Accident de voiture, accident de ski, plaie ouverte, réanimation. On sent que ça grouille en arrière des murs de cette salle d’attente. L’occupation de l’urgence est de 156 % et je suis environ la 30e sur 45 patients en attente de voir un médecin. Il ne reste que deux médecins sur le plancher et, à minuit, il n’y en aura qu’un.
 
 Crédit photo : quickmeme.com
 
 
Puis, le party pogne dans la salle. Certains patients sont accompagnés de trois à cinq personnes. Ils mangent des gros snacks et ont pratiquement une glacière avec eux. C’est sans parler de ceux qui sortent fumer aux 15 minutes, vont s’acheter un trio BIG MAC ou font vivre le Tim Hortons du coin à coup de cafés grand format. À un certain point, je me suis entendu dire « chuuuuuut » à la gang de belles-sœurs, tout droit sorties d’une pièce de Michel Tremblay, qui jouaient aux cartes – AUX CARTES. À ce jour, j’ignore encore laquelle d’entre elles avait besoin de voir un médecin en urgence.
 
Mais il y avait aussi ce couple de personnes très âgées. Le monsieur n’allait vraiment pas bien et il était blotti en silence contre sa conjointe. Puis, cette charmante dame atteinte d’un cancer qui a passé la nuit dans une chaise roulante, à attendre, comme moi, de voir un médecin. Elle avait la même priorité que moi aux yeux des infirmières – 4, soit une prise en charge semie-urgente. J’ai appris qu’elle était en phase terminale et qu’elle attendait une place en maison de soins palliatifs. Elle était dans le même corridor que moi, sans soins spéciaux. Bonjour la dignité humaine.
 
Crédit photo :  Renaud-Bray / Montage: Nathalie Justine
 
Minuit 
Ma mère m’a quitté pour la nuit. Le personnel a mis un petit drap à notre disposition – généreux. J’ai dormi à coup d’heure. Toujours un peu réveillée par le party de belles-sœurs et par ce bébé de 18 mois, couché sur sa mère, qui toussait une toux digne du croup – pour la petite histoire, il est resté encore plus longtemps que moi en attente de voir un médecin. Un bébé de 18 mois.
 
6 h  
Ma place n’a pas bougé dans les rangs. Encore un seul médecin sur place. Je n’ai pas revu l’infirmière au triage. Mes symptômes n’ont pas changé. Crampes, nausées, saignements. J’attends. Parce que si je sors. Je perds ma place, on m’a bien avisée. J’ai peur de perdre mon bébé.
 
8 h 
Le personnel de jour arrive et, là, ça se met à bouger. En 25 minutes, j’ai revu l’infirmière, puis été appelée par le médecin. Échographie, palpations. Juste le temps de prendre des prises de sang, de m’installer un soluté et j’étais déjà en route pour la radiologie.
 
Malgré une prise en charge 18 heures suivant mon arrivée, je n’ai eu mon congé que vers 15 h. Somme toute, le personnel hospitalier m’a bien traitée, mais ce temps d’attente est insensé. Non, je n’étais pas à l’article de la mort. Non, je ne me considère pas plus importante qu’un trauma, qu’un bébé de 18 mois, qu’un vieil homme en détresse et encore moins qu’une vieille dame en phase terminale d’un épouvantable cancer.
 
Cela dit, je suis assurée, parce qu’on me l’a dit sur place, que la période des fêtes est une roue bien huilée. Que le personnel sait exactement à quoi ressemblera le début d’année. Je suis aussi persuadée qu’aucune disposition n’était en place pour pallier ce taux d’occupation inacceptable de 156 %, que la directive en place se voulait à « personnel réduit ».

J’ai surtout pu constater que, vraiment, le Gouvernement a mis la hache dans les soins de santé. 

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